Je n’ai jamais fait autre chose que pousser du bois sur un échiquier et depuis le championnat mondial junior de Belfort (juillet 1979 ; au passage, meilleurs vœux à Jean-Paul Touzé, à Nigel Short et aux compétiteurs et copains d’alors), j’ai tout oublié de ce jeu. C’est peut-être pourquoi j’ai manqué d’ouverture et de profondeur en faisant état de sa récente condamnation par un prédicateur turc très en vogue en la cour du sultan Erdogan. Ahmet Mahmut Ünlü (surnommé Cübbelli Ahamet Hoca) est un télévangéliste célèbre pour fréquenter le chef d’état-major Hulusi Akar et bénir tous les partisans de l’AKP, le parti du président Erdogan.

Aussi, plus récemment, pour avoir décrété que s’adonner aux échecs vouait davantage aux enfers que parier (le Super Loto 6/54 turc est très populaire) ou même consommer du porc.

Divers précédents

Le chatrang iranien (peut-être dérivé du chaturanga indien) est un jeu diabolique, la cause est entendue… Il rend intelligent pour y jouer, veut l’adage : Charles le Téméraire, meilleur joueur occidental de son temps, fut mis mat – par René II de Lorraine (devant Nancy, en 1477), et trahi par Nicolas de Monfort – sous le coup d’une hallebarde suisse. Il eût mieux fait de jouer son duché de Bourgogne et celui de Lorraine au bonneteau. Il l’avait bien cherché. Car depuis le très catholique concile de Paris (1210-1212), il avait été édicté que jouer aux échecs était plus maléfique qu’être, par exemple, bigame (tel Philippe-Auguste).

Fut-ce parce que les Templiers, protecteurs des dits Lieux Saints, y excellaient ? Ou que Lothaire Segni, devenu Innocent III, s’était montré un joueur exécrable ? Ou que Louis IX, voguant vers la Palestine, avait jeté un échiquier par-dessus bord (non, ce fut lors de la septième croisade de 1248, donc postérieur) ? Je ne sais même pas si cet interdit vaut encore la suspense ou l’excommunication.

Qu’en dit le Code canonique de 1983 ? Est-ce seulement la variante pratiquée par l’évêque de Florence, Michi, en 1060, qui reste frappée du fait qu’à l’emploi des pièces se substituait celui de dés ? Les pièces seraient-elles plus néfastes pour le salut éternel que les dés ? Toujours est-il que Jean de Sobrinho, carme à Lisbonne, rétablit la licité du jeu vers 1425 et que Charles d’Orléans put s’adonner à l’assise lombarde (une variante avec fierge, dérivé de firz, ou virgo pour la reine) contre Fauld Dangier, en toute onction d’âme.

Cependant, la Révolution islamique iranienne avait banni les échecs de 1977 à 1990. Mais les mollahs autorisèrent un championnat féminin dès 2000. Qui organise le prochain championnat mondial féminin, en février prochain ? La fédération iranienne, seule candidate.

Boycott controversé

Ce n’est pas en raison de l’interdit du pieux prédicateur ottoman que la Géorgienne Nazi Paikidze-Barnes, 22 ans, championne étasunienne, refuse d’affronter à Téhéran son adversaire iranienne, Sarasadat Khademlsharieh, 19 ans. Mais parce qu’elle se refuse à porter le voile islamique, le hijab. Sara soutient que la venue de 64 joueuses de 26 pays en lice ‘’aidera mieux les femmes iraniennes’’ à s’affirmer en tous domaines.

Le boycott de Nazi P.-B. renforce, selon elle, l’isolement de son pays où les jeunes femmes représentent 60% des effectifs des universités et portent davantage leurs études à terme que les étudiants. Pour Nazi., en Iran, ‘’les femmes n’ont pas de droits fondamentaux et (…) sont traitées comme des citoyens de seconde zone’’. C’est pour le moins réducteur. Cela étant, en profane et total béotien, je comprends mal que la fédération internationale, la Fide, maintient des championnats séparés (en fait, les femmes peuvent affronter les hommes et la Hongroise Judi Polgar, dixième ‘’joueur mondial’’, et ses sœurs, disputent les olympiades mixtes). En tout cas, au bras de fer entre Ahmet et Judi, je mise sur Judi sans craindre me vouer au jahim (feu) éternel. Déjà, Jeanne de Flandre, fille de Baudouin de Constantinople, battit son mari, Ferrand de Portugal, aux échecs. Alors…