Aux abords du Sacré Cœur, verre de soda à la main, Virginie de Clausade parle VIH et homosexualité. Nièce d’Hervé Hubert, producteur de télévision, ancien collaborateur de l’humoriste Thierry Le Luron, elle a récemment publié un livre fort sur le combat de l’artiste contre le Sida. De bruit et de fureur, publié aux Editions Plon, est un récit inédit, mêlant les souvenirs de son oncle et ses recherches. En 253 pages, elle dépeint les cent dix dernières semaines du faux mari de Coluche avec brio. Homosexuel, séropositif et en haut de l’affiche, il menait un autre combat, celui de ne pas entacher son image publique.

Au-delà de l’affrontement entre l’homme dans le déni face à une maladie incurable, elle met en lumière ce tabou du VIH et de l’homosexualité dans la France des Années 80. Entretien.

Christelle Cozzi : Pourquoi avoir voulu écrire sur le Sida ?

Je pense que Thierry Le Luron m’a influencé inconsciemment. Quand j’avais 4 ans, je me sentais très concernée par le Sida, alors que je ne savais même pas ce que c’était. Toute l’angoisse sourde qui résidait autour de lui dans mon entourage m’a marquée, et plus tard, m’a fascinée au point d’en écrire un livre. Je me rappelle avoir eu très peur pour Freddy Mercury au même âge, alors qu’encore une fois, je ne savais pas ce qu’était le VIH. Un documentaire, diffusé en 2013 sur France 3, Sida : La guerre des 30 ans, abordant toute l’émergence de l’activisme des malades, m’a également inspiré.

Jusqu’aux années 80, on ne savait pas de quoi on mourrait. Un mec en phase terminale d’un cancer ne le savait pas. Les médecins estimaient qu’il n’était pas bon pour le patient de se savoir condamné. Le sida a changé ça. Il fallait informer les patients de leur sérologie, et donc, à l’époque, de leur mort imminente, pour éviter les (sur)contaminations.

Au-delà du tabou de l’époque et l’amalgame permanent entre Sida et homosexualité, il y avait un autre problème. Personne ne sachant comment le soigner, un mélange d’espoir et de dépit se formait. Le corps médical a finalement accepté de travailler main dans la main avec les malades, après un long combat mené par les associations, comme Act Up.

Globalement, ce virus a radicalement changé le rapport médecin-patient. Il a créé une sorte d’altérité contrainte.

Lorsque la trithérapie est arrivée, beaucoup d’individus ont développé le syndrome du survivant, à l’instar des rescapés de la Shoah. Certains ont fait des dépressions. Ils s’étaient psychologiquement préparés à mourir, quand finalement la médecine leur a permis de vivre plus longtemps. On assistait à de véritables résurrections dans les hôpitaux. On doit la trithérapie à ces nombreux malades qui se sont battus pour détruire le tabou. Ce que j’ai trouvé magnifique en travaillant sur le sujet, c’était ça : cette jeunesse, déjà plombée dans la grande majorité, qui s’est unie pour combattre ce virus.

En sachant pertinemment, qu’il n’avait qu’une chance infinitésimale de vivre assez longtemps pour bénéficier de ce traitement. Ils ont mené la bataille de la survie pour nous.

La majorité des films traitant du sida est rétrospective. On présente les malades avec le regard de 2017, on oublie l’angoisse qui résidait autour de l’inconnu. En 1986, quand quelqu’un apprend qu’il a le Sida, on se dit qu’aucune maladie ne tue 100% des gens, alors on se crée un espoir. Or, la manière dont on présente la situation aujourd’hui à l’écran compte sur le fait que l’on connaît l’issue fatale. A l’heure actuelle, la maladie est à nouveau tombée aux oubliettes. Des jeunes affirment aujourd’hui que l’on ne peut pas mourir du Sida.

Je me suis dit qu’il fallait écrire un livre, ne serait-ce que pour rappeler l’angoisse qu’il provoque. Je voulais créer de l’enjeu en faisant réfléchir sur plusieurs questions : qu’est-ce que gagner du temps sur la mort, comment réagissons-nous lorsque nous nous savons condamné?