BLASTING NEWS. Que pensez-vous de la volonté japonaise de remettre les réacteurs nucléaires en état de marche ?

Charlotte Mijeon : L'Autorité de sûreté nucléaire japonaise a, certes, donné son accord pour relancer quatre réacteurs, mais la remise en route n'interviendrait pas avant l'été. Pour autant, alors même que la majorité de la population est opposée au redémarrage des réacteurs, que la situation à la centrale de Fukushima-Daiichi reste hors de contrôle et que le Japon reste à la merci d'un nouveau séisme de forte amplitude, la décision des autorités japonaises de relancer les réacteurs est inacceptable.

BLASTING NEWS. Les risques d'une réouverture sont-ils les mêmes qu'en 2011 ?

Charlotte Mijeon : Officiellement, la nouvelle autorité de sûreté nucléaire a adopté une règlementation plus stricte. Cependant, de l'aveu même de Yotaro Hatamura, président de la commission d'enquête sur les origines de l'accident, le gouvernement ne semble tenir aucun compte des préconisations qui lui ont été faites. Selon ses propres mots, à part cette nouvelle législation, rien n'a changé par rapport à la période avant l'accident. Le risque sismique reste le même et le vieillissement des centrales ne s'est pas arrangé. Un nouvel enjeu s'est rajouté : la pénurie progressive de travailleurs qualifiés.

En effet, la centrale de Fukushima Daiichi occupe quotidiennement entre 6000 et 7000 travailleurs, dans un environnement très radioactif qui oblige à des rotations rapides de personnel. Il n'est pas exclu que cette situation ait des répercutions sur la disponibilité des travailleurs sur les autres sites nucléaires.

BLASTING NEWS. Comment expliquez-vous cette difficulté à sortir du nucléaire ?

Charlotte Mijeon : La facture énergétique a certes augmenté de 46 % entre 2010 et 2013, mais seuls 6% de cette augmentation sont imputables directement à l'arrêt des réacteurs et à la nécessité de trouver des énergies de substitution.

C'est Bernard Laponche, expert sur les questions énergétiques, qui le dit. Du coup, les 40% restants sont dus à l'augmentation des prix des combustibles importés et surtout du prix du pétrole, des éléments qui sont donc liés au contexte international. Il convient d'ailleurs de rappeler que la dépendance énergétique à proprement parler du Japon n'a pas augmenté, puisque l'uranium utilisé dans les centrales était lui-même importé !

BLASTING NEWS. Mais le Japon a-t-il les moyens d'en sortir ?

Charlotte Pijeon : Le Japon a considérablement développé les économies d'électricité et est devenu le deuxième plus gros investisseur mondial dans les énergies renouvelables après la Chine. D'ores et déjà, de vastes projets solaires et éoliens sont en chantier, avec notamment une des plus grandes fermes éoliennes offshore au large de Fukushima.

Le Japon a la possibilité technique et économique de tourner définitivement la page du nucléaire tout en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre. Les difficultés à faire accepter la sortie du nucléaire sont principalement d'ordre politique et dues au blocage de l'industrie nucléaire elle-même.

BLASTING NEWS. En France, la centrale de Fessenheim est toujours ouverte. Notre pays est-il un mauvais élève ?

Charlotte Pijeon : La promesse de fermeture de Fessenheim reste floue. Originellement promise comme "immédiate" par le candidat Hollande, elle a ensuite été annoncée pour fin 2016, puis pour la fin du quinquennat... Puis été rendue tributaire du plafonnement de la puissance nucléaire installée introduit dans la loi de transition énergétique.

En vertu de ce plafonnement, pour mettre en service un nouveau réacteur, comme l'EPR de Flamanville, il serait désormais nécessaire de fermer une installation de capacité équivalente. Mais, outre la mise en service hypothétique de Flamanville, cela repousserait la fermeture de Fessenheim. Le gouvernement est devenu très évasif sur le sort de la centrale à fermer. Devant l'opposition d'EDF, Ségolène Royal lui aurait même demandé de présenter des scénarios alternatifs à la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim ! Rien n'indique donc que la centrale sera effectivement fermée en 2016. Comme au Japon, il apparaît donc que la sortie du nucléaire n'est pas tant une question de faisabilité technique que de volonté politique de la part du gouvernement, et notamment de volonté de tenir tête à EDF.