La Turquie est la première puissance économique du Moyen-Orient. C'est aussi un pays qui fait preuve d'une politique radicale et ambiguë, à l'extérieur comme à l'intérieur. Au lendemain des nouvelles répressions du 1er mai, des discussions houleuses sur la reconnaissance du génocide arménien et à deux semaines des élections législatives du 7 juin prochain, Blasting News revient sur la situation d'un pays qui balance entre politiques islamiques et vie occidentale avec Ayse Gunaysu, militante des Droits de l'homme et membre du Comité contre le racisme et la discrimination d'Istanbul.

Des relations complexes à l'international 

« L'AKP, dans le but de renforcer ses positions et de gagner la confiance de la communauté internationale, a commencé un processus de réforme en harmonie avec les critères de l'Europe. Cependant le processus a pris fin quand le gouvernement n'a pas honoré ses obligations vis-à-vis de l'UE et a pris une voie nationaliste, autoritaire et arbitraire», nous rappelle-t-elle.

Depuis les printemps arabes, la Turquie a modifié ses relations internationales. Selon Dorothée Schmid de l'Institut français des relations internationales (IFRI), l'erreur a été de croire à une nouvelle assise économique et à une influence réelle dans le monde arabe après les soulèvements de 2011.

Le Effet, le Président Recep Tayyip Erdogan (fondateur de l'AKP, le parti pour la justice et le développement) a soutenu dès le départ les mouvements de révolte en Tunisie, en Libye et en Egypte en se plaçant comme porteur d'une nouvelle solution pour ces pays.

Mais une grande partie des révoltes n'ont pas eu l'effet espéré.

 La Turquie s'est alors retrouvée minuscule parmi les pays arabes. Puis le président Erdogan a misé sur le soutien des Frères musulmans, sauf que ces derniers ont été écrasés par le Général Al Sisi. Même si aujourd'hui les relations avec l'Egypte sont apaisées, les choix politiques ont décrédibilisé le Président turc au regard de la communauté internationale.

L'Union européenne, quant à elle, s'éloigne de plus en plus des aspirations du Président comme le précise Ayse Gunaysu. Des efforts ont été effectués pour séduire l'Occident mais « la Turquie ne mérite pas d'être membre de l'Union Européenne vu les circonstances » nous dit-elle.

La société turque, nouveau modèle ou paradoxe ? 

« Les citoyens de classe moyenne turque, ou pour être plus précise, les musulmans sunnites typiques ont des sentiments contradictoires envers l'Europe. Ils admirent l'Europe, respectent ses valeurs, aspirent à sa qualité de vie, mais en même temps sont sous l'influence du nationalisme turc qui, depuis des siècles, voit l'Occident comme hostile…; admiration, ressentiment et colère en même temps.

Ce paradoxe se reflète aussi dans l'attitude contradictoire du gouvernement envers l'Europe» (Ayse Gunaysu)

En Turquie, le conservatisme et la religion ont repris des forces au moment où la classe moyenne s'est développée. Une classe moyenne qui a pris de l'ampleur grâce aux réussites économiques d'Erdogan et de l'accompagnement d'un programme économique orchestré par le FMI depuis 30 ans.

"Un pays laïc... aux aspirations islamiques..." 

Est-ce un paradoxe de voir un pays proche de l'Occident et de ses valeurs s'enfoncer dans le conservatisme religieux ?

Selon Ayse Gunaysu « Oui. D'ailleurs la Turquie est encore un pays laïc, les lois sont laïques, de style occidental ; les lois laïques sont pratiquées et non pas celles de la chariaMais depuis ces dernières années, les aspirations islamiques de la Turquie sont de plus en plus visibles. L'image de l'Islam modéré de l'AKP promu par les Etats-Unis et par certaines positions européennes n'était qu'un rêve. La Turquie s'éloigne de plus en plus de la laïcité ».

La militante pour les Droits de l'homme propose de « lutter pour une démocratie réelle", et "contre le nationalisme turc". "Il faut un changement dans la mentalité du public global en Turquie, la lutte contre la corruption, contre les méthodes gouvernementales arbitraires".

HDP, un espoir de changement?

« Avec l'attitude actuelle du gouvernement, je ne vois pas un avenir brillant pour le pays. »

« Si le HDP (Parti de la démocratie des peuplesfranchit le seuil des 10% dans les élections générales, cela suffira à apporter un grand changement. Le front démocratique gagnera en force et l'arithmétique du Parlement ne sera pas en faveur de l'AKP, car il ne sera plus le seul à décider »

Dans ses nouvelles élections, le Président Erdogan ne joue pas son poste puisqu'il a été élu en août dernier pour cinq ans.

Il aimerait faire passer une réforme pour que le pays devienne un régime présidentiel afin de renforcer ses pouvoirs, notamment en présidant le Conseil des ministres. Pour cela, il faudrait que l'AKP obtienne 400 députés le 7 juin (aujourd'hui 312).

« Le succès de HDP dans les prochaines élections pourrait modifier le paysage global ; ce serait une nouvelle dynamique sociale capable de faire contrepoids à la puissance incontrôlable de l'AKP actuellement ».

La clé de ce scrutin pourrait se reposer sur le parti pro-kurde HDP. L'HDP défend le droit des minorités, il pourrait changer la donne face à l'autoritarisme de plus en plus marqué de l'exécutif vis-à-vis des opposants et des libertés publiques d'expression et permettrait de résoudre le conflit avec les Kurdes. 

La Turquie pourrait offrir une réelle assise à l'égard des pays majoritairement islamiques et en conflits qui l'entourent. Dilemme ou solution ? La place géographique de la Turquie lui confère un rôle primordial dans la politique internationale. Gare à ne pas laisser un seul homme aux manettes !