La purge se poursuit et s’amplifie en Turquie, avec maintenant près d’une centaine de journalistes ou éditorialistes incarcérés ou placés en résidence surveillée. Mais, de plus, comme au temps des procès de Prague (1952) de la Tchécoslovaquie communiste, outre les kémalistes (laïcs), les divers opposants ou trop tièdes soutiens du pouvoir se voient extorquer des aveux. La presse restée "indépendante" ou d’opposition modérée subsistante s’aligne sur les thèses du pouvoir et fait désormais état d’une Organisation terroriste fethullahiste (FETÖ), du nom du mentor islamiste Fethullah Gülen, exilé aux États-Unis.

Chasse aux sorcières générale

Le scénario probable du coup d’État est que divers officiers supérieurs, se sachant fin juillet mis à la retraite d’office et probablement ensuite poursuivis, aient hâté une tentative désastreuse de prise de pouvoir. Parmi eux, divers proches des mouvements kémalistes (laïcs), et d’autres. Qui ont sans doute considéré que, parmi la relève de la nouvelle fonction publique qu’ils souhaitaient, il convenait de promouvoir divers proches du mouvement de Gülen. Mais les rafles ayant suivi la répression du putsch visent indifféremment toute personne estimée réticente à envisager une Turquie dominée par un président jouissant des pleins pouvoirs et s’appuyant sur une masse de musulmans fondamentalistes.

Tous les secteurs de la fonction publique, mais aussi du tissu entrepreneurial (industrie, finance, commerce…), et bien sûr de la presse et de l’édition font l’objet d’une vaste répression.

Le quotidien Zaman (Le Temps), considéré proche du mouvement gülaniste, est particulièrement visé. Ses éditions électroniques en langue étrangère (dont zamanfrance.fr) recensent les arrestations de journalistes, de tous bords et toutes nuances d’opinions.

Reporters sans frontières considère que « si les autorités [turques] ne peuvent apporter d’éléments plus crédibles, elles ne font que poursuivre des délits d’opinion, ce qui est intolérable.». En fait,ces éléments sont le plus souvent extorqués. Amnesty International a appelé les autorités turques « à mettre fin à la torture».

Il est certain que l’islamiste Fethullah Gülen visait une prise de pouvoir progressive, tout d’abord en s’appuyant sur Erdogan, qui a largement favorisé, dans un premier temps, l’extension de l’emprise de son mouvement dans l’éducation, l’administration, l’armée, et les milieux d’affaire. Mais faire, parmi d’autres, de Nazli Ilicak, 72 ans, chroniqueuse réputée, un membre de l’Organisation terroriste, n’a rien de crédible. Divers journalistes d’investigation, ou des universitaires, ayant dénoncé de précédentes tentatives de putschs militaires ont été arrêtés et ont comparu en urgence devant la justice. Idem pour celles et ceux ayant écrit sur la corruption favorisant Erdogan et sa progéniture.

Le sultan joue la carotte et le bâton et Bülent Mumay, d’Hürriyet, a été relâché, mais il devient désormais inemployable en Turquie. L’objectif visé est de faire en sorte que quiconque ne se transforme pas en laudateur du sultan soit considéré un agitateur, un « terroriste».

Et Erdogan mise aussi sur la théorie du complot planétaire, mettant en cause, sinon l’administration d’Obama dans son ensemble, du moins certains cercles militaires des États-Unis. Pour le principe, les officiers de liaison avec l’Otan ont été soit arrêtés, soit mis à pied. Erdogan fait aussi le ménage dans les services secrets dont il revendique à présent le contrôle direct (ils relevaient du Premier ministre). Outre les plus de 20000 arrestations à ce jour, 50000 personnes ont vu leur passeport confisqué.