Les autorités turques ont communiqué à la presse une photo d’Abdulgadir Masharipov, dont le visage tuméfié laisse supposer que ses aveux n’ont pas été tout à fait spontanés. Mais son passé de djihadiste concorde avec son récit de l’attaque de la discothèque Reina, le soir du réveillon du Nouvel an à Istanbul. Ses dépositions font encore plus redouter le retour en Europe des djihadistes ayant rejoint Daesh en Syrie et Irak. Rien que pour la France, ils seraient environ 700 et tous ne succomberont pas, ni ne seront capturés, à Raqqa ou Mossoul,. C’est sur ordres directs du califat que Masharipov est passé à l’action à Istanbul ; des ordres qui se résument à ceci : tuer un maximum de personnes en s’adaptant aux circonstances.

De l’Afghanistan à l’Iraq

Masharipov, 34 ans, marié, deux enfants, dont l’un de quatre ans qu’il avait emmené se planquer avec lui, est, contrairement à la plupart des auteurs d’attentats revendiqués par Daesh en France et Belgique, notamment, un véritable ‘’soldat’’ du califat. C’est sous l’égide d’al-Qaida qu’il quitte l’Ouzbékistan, qui le réclame pour des faits antérieures, voici six ans, direction l’Afghanistan. Puis il parvient en Iraq où il aurait reçu une nouvelle formation militaire. Ensuite, comme d’autres combattants d’Al-Qaïda, il fait allégeance à Daesh. Selon ses aveux, il aurait été exfiltré d’Irak avec sa famille vers l’Iran. De là, alors que les relations entre la Turquie et le califat se tendent, il lui est ordonné de se rendre dans une première planque de la province de Konya avant de se fixer, le 16 décembre, dans la capitale.

C’est de Raqqa qu’il aurait reçu l’ordre de se livrer à un massacre. Il repère la place Taksim, la plus grande de Beyoglu, le quartier d’affaires d’Istanbul. La présence policière le dissuade. Il prend ensuite un taxi, longe la côte occidentale de la capitale, repère la discothèque Reina, bondée, peu sécurisée. Il réfère de sa nouvelle cible à son supérieur à Raqqa (Syrie).

Ayant reçu confirmation de l’opportunité de la cible, il retourne se munir de son arme et revient faire un massacre. Ensuite, il va passer la nuit dans un restaurant puis rejoint sa famille. Il sera transféré dans une autre planque, à Esenyurt, par deux personnes, dont un Iraquien. Là, outre le principal locataire, se trouvaient trois Africaines, une Sénégalaise, une Égyptienne et une Somalienne, présumées avoir été en transit vers le califat en Syrie, avant que les forces turques ne sécurisent la frontière.

Cela laisse supposer que la Turquie compte de multiples relais du califat : une vingtaine de ‘’cellules’’ de Daesh ont été neutralisées par la police à Esenyurt, Silivri, Basaksehir, mais aussi dans la province de Hatay. À Bursa, la principale ville proche d’Istanbul, sur la rive asiatique, et à Sanliurfa, ville proche de la frontière syrienne, la police a depuis arrêté pas moins de 27 suspects – dont 15 femmes accompagnées par 29 enfants – dont l’un avait été en rapport avec Masharipov dans la province de Konya. Dans une autre planque, vacante, précédemment occupée par des Tadjiks, 40 passeports et 38 faux documents d’identité ont été trouvés. Un Syrien, Abud Mahho, a aussi été arrêté hier près de la frontière syrienne.

Il a conduit la police à une cache contenant des armes, des explosifs, des détonateurs. 780 personnes en relation avec le califat, dont 350 étrangers, sont à présent détenus en Turquie. L’an dernier, la Turquie a régularisé près de 74 000 étrangers sur 90 000 demandeurs, dont plus de 13 000 Syriens, près de 8 000 Géorgiens, 6 000 Ukrainiens, et des milliers de Turkmènes, Kyrgyzes et Ouzbèkes. En six ans, le nombre des demandes a cru de 15 000 à 90 000 (65 000 régularisations en 2015). L’Irak considère que ‘’des milliers des membres de Daesh’’ tentent de rejoindre la Turquie et que des centaines se sont déjà infiltrés depuis l’offensive sur Mossoul. Parmi eux, sans aucun doute, des Belges ou des Français, des Maghrébins francophones, qui tenteront de rejoindre l’Europe.