"The Brink of War" a titré le Daily Mail, soit le seuil de la guerre totale. La frappe de 60 missiles décidée par Donald Trump contre la base aérienne d'al-Shayrat, proche d'Homs en Syrie, appelle évidemment des mesures russes, moins diplomatiques que militaires. Pour le moment, le seul mouvement recensé, c'est un raid d'un appareil non déjà identifié (syrien ou russe) sur la ville de Kahan Seikhun. La cible, à la périphérie nord de la ville, semble avoir été symbolique et l'attaque n'a pas provoqué de victimes. En revanche, un porte-parole du ministère russe de la Défense a d'une part minimisé l'impact de la frappe sur la base syrienne (seuls 23 des 59 engins auraient atteint l'objectif), et d'autre part annoncé que la Russie allait renforcer la défense anti-aérienne des infrastructures militaires syriennes.

Vrais-faux, faux-vrais semblants

Selon le ministère russe de la Défense, seuls six Mig-23 syriens auraient été détruits et les pistes n'auraient pas été endommagées. Le chiffre est invérifiable, comme celui, variable, des militaires et civils syriens tués. Mais il semble bien que les pistes n'aient pas été vraiment mises hors d'état d'assurer l'envol ou l'atterrissage de chasseurs. C'est soit inquiétant (ce raid étasunien est un semi-fiasco, mal mené ou employant des missiles peu fiables), soit rassurant : Donald Trump se serait livré à une gesticulation médiatique mesurée, mais ne remettant pas en cause durablement la (faible et à présent suspendue) coopération entre forces russes et américaines pour la reprise de Raqqa encore tenue par Daesh.

La présidence syrienne vient de qualifier "d'irresponsable" le raid américain, et bien sûr totalement "injustifié". Le conseil de sécurité des Nations unies se réunira à la demande de la Russie, et a priori, il n'en ressortira rien, les positions respectives restant figées. En fait, bien moins qu'un avertissement au régime syrien, la décision de Donald Trump vise à signifier que les États-Unis font peu de cas de l'Onu.

Que, partant, de toutes autres opérations pourraient viser la Corée du Nord, sans préavis, sans concertation. C'est pourquoi la Chine a commenté qu'il fallait éviter "toute nouvelle détérioration de la situation en Syrie". Les soutiens de la "droite hors les murs" (alt-right) à Donald Trump tentent de faire croire que George Soros aurait manigancé l'explosion d'un dépôt de gaz sarin à al-Shayrat afin de pousser Donald Trump à commettre un impair.

Les partis européens qui avaient plébiscité le président américain se retranchent dans un pesant silence ou condamnent mollement une réaction américaine exagérée. C'est le cas de l'Ukip de Nigel Farage, pourtant personnellement très proche de Donald Trump : les soutiens de Trump étaient aussi, en fort nombre, des partisans de la coalition syro-russe-iranienne. On remarquera aussi que Russia Today publie sur divers de ses sites une tribune de l'historien John Laughland. Donald Trump serait "la marionnette de ce qu'on appelle l'État profond". Pour lui, "la fameuse révolution trumpienne, qui devait mettre fin à de longues décennies d'ingérence américaine, vient de s'évaporer comme la rosée matinale".

Et "les frappes aériennes sont (…) un outil pour donner l'apparence d'une virilité inexistante". Le torchon entre Maison blanche et Kremlin commence à sentir le roussi. Brûlera-t-il ? Il est trop prématuré de l'affirmer. Mais les forces russes vont se mêler plus étroitement aux forces syriennes. Si Trump récidivait, et provoquait des morts russes, ou si un jet étasunien détruisait un radar russe, Moscou répliquerait. Comment ? La suite ne dépendrait pas que de Donald Trump. Lequel, viril ou non, s'il n'en est conscient, se le verra rappeler très fortement.