Macron a été élu sur une martingale géniale : faire de l’Europe l’espace de définition de la politique économique française. Le soir de son élection il a traversé le Louvre en écoutant l’Hymne à la joie européen. Pendant sa campagne électorale, il a parlé de travailleurs détachés et son agenda se résume à peu près aux enjeux et défis suivants :

  • réglementer et améliorer la directive concernant les travailleurs détachés qui date de 1996,
  • arriver à une harmonisation fiscale au sein de l’Europe afin d’éviter le dumping fiscal,
  • valoriser le Buy european act,
  • contraindre les firmes multinationales américaines (GAFA, Google-Amazon-Facebook-Apple) à payer leurs impôts en Europe sans profiter du dumping fiscal des Etats,
  • valoriser une Europe sociale qui tienne compte des revendications des peuples,
  • construire éventuellement une défense européenne commune au moment où les Etats Unis demandent à leurs partenaires européens de mieux financer leur sécurité.

Fini l’Hymne à la joie du soir de l’élection, Macron est obligé de mettre les mains dans le cambouis car sur tous les dossiers évoqués en amont, certains pays d’Europe de l’Est comme la Hongrie, la Pologne, dans une certaine mesure l’Espagne, valorisent la libre circulation, le laisser faire à l’intérieur de l’espace européen tout en se protégeant dès lors qu’il s’agit de partager le fardeau de la solidarité politique en recevant par exemple les migrants.

L’Allemagne soutient à pas feutrés la démarche de Macron pour des raisons de politique intérieure et de leadership en Europe.

Jusqu’où ira Macron pour contraindre les pays de l’Est de discuter de la directive européenne des travailleurs détachés ?

Selon les estimations, il y aurait 286 000 travailleurs détachés en France, essentiellement espagnols, polonais, portugais, roumains. En équivalence, il y aurait à peu près 100 000 Français qui travailleraient comme travailleurs détachés en Europe. D’autres estimations portent le chiffre de 286 000 à 500 000 travailleurs, au sein desquels on trouverait certains clandestins. Comment arriver à une harmonisation entre les pays européens avec des taux de cotisation différents (18% en Allemagne, 20% au Portugal et 38% en France) en sachant que, lorsqu’un employeur français embauche un travailleur détaché, il ne lui verse que son salaire (souvent le SMIC) et ne paie aucune cotisation.

Macron doit négocier ce dumping social, ce qui n’a pas l’heur de faire plaisir à la Pologne, à la Roumanie et à la Bulgarie qui s’opposent à la réglementation. Il faut aussi noter que l’Allemagne soutient du bout des lèvres l’initiative de Macron, même si elle n’est pas opposée car les travailleurs détachés de l’Europe de l’Est représentent pour elle une forme d’armée de réserve de main d’œuvre industrielle au sens de Karl Marx pour l’industrie allemande.

Sur le dossier des travailleurs détachés, Macron semble être un peu isolé.

Macron est au pied du mur concernant les autres dossiers de l’agenda.

Macron doit pousser les feux pour une politique européenne nouvelle dans deux directions : la direction sociale mais aussi la direction économique. Concernant le Buy european act qui réserve les marchés et les crédits aux entreprises qui réalisent 50% de leur production en Europe, Macron risque d’être confronté au refus de l’Allemagne dont les entreprises ont une production essentiellement mondiale.

Sur le plan technique, il faut arriver à une harmonisation fiscale qui empêche les GAFA de bénéficier du dumping territorial entre les Nations européennes avec des taux d’imposition qui vont de 0 à 12% en Irlande, contre 25 ou 28% dans d’autres pays européens. Macron doit impulser une coopération industrielle en Europe pour éviter le principe de « cavalier seul » que semblent affectionner les Polonais et les Hongrois quand il s’agit d’acheter des marchandises. Les Polonais ont acheté des hélicoptères américains en lieu et place d'hélicoptères français. Les Espagnols vont acheter des F16 américains au lieu des avions Rafale français. Quelle Europe de la défense construire dans ce cas-là, sachant que toute Europe de la défense doit s’appuyer sur une politique diplomatique clairement identifiée par les partenaires européens ?

L’Allemagne ne s’intéresse pas à l’Afrique, à la différence de la France, et préfère donc le parapluie américain. La Grande Bretagne s’en va, les pays de l’Est préfèrent être protégés par les Etats Unis, il y a donc une diversité des intérêts géopolitiques en Europe. Macron saura-t-il trouver une réponse à tous les actes matériels de son agenda ? En quoi le prochain sommet sur l’Europe sociale prévu en Suède va-t-il accélérer le projet de Macron ? Comment Merkel, en pleine campagne électorale prévue en septembre, aidera-t-elle ou non Macron ?