La notion d'intellectuel naît en France au moment de l'affaire Dreyfus, en particulier avec la publication du célèbre J'accuse, d'Emile Zola. Ce dernier est le premier intellectuel, ou du moins le premier à être défini comme tel. Voltaire, dès l'affaire Calas, avait endossé ce rôle en publiant son Traité sur la tolérance. L'intellectuel est un penseur qui intervient dans le débat politique ou public pour prendre position, défendre ses valeurs, ou proposer des solutions aux problèmes rencontrés comme l'ont décrit les historiens Pascal Ory et Jean-François Sirinelli pour qui l'intellectuel est "un homme du culturel, créateur ou médiateur, mis en situation d'homme du politique, producteur ou consommateur d'idéologie".

Toutefois, cette notion qui a déjà plus d'un siècle est-elle toujours la même aujourd'hui? N'a-t-elle pas évolué dans le temps? Les intellectuels contemporains sont-ils comparables à ceux qui étaient présents il y a 100 ans en arrière?

Il me semble, effectivement, que cette notion a évolué et que le rôle de l'intellectuel n'est, aujourd'hui, plus le même que de par le passé. Au rôle d'acteur, précédemment assumé par les intellectuels, semble s'être substitué un rôle de simple commentateur de l'actualité. Comment, dès lors, repenser le rôle de l'intellectuel dans notre société? Le rôle d'acteur, anciennement occupé par les intellectuels, n'est-il pas désormais de la responsabilité de tous?

L'intellectuel engagé jusqu'au début des années 2000

Historiquement, l'intellectuel est donc cette figure du penseur qui s'engage pleinement dans le débat public. Cette tradition et vision de l'intellectuel investi dans la vie publique est française et nombreux sont les penseurs à avoir pesé sur le débat. Souvent ces intellectuels ont pu s'opposer comme lors de l'affaire Dreyfus: si Emile Zola a défendu Dreyfus à l'aide du pamphlet J'accuse, dans le même temps et pour la même affaire certains écrivains se sont engagés pour défendre le camp des anti-dreyfusards comme Barrès.

Cet engagement des intellectuels se retrouvait sur toutes les parties de l'échiquier politique de l'extrême-gauche avec le refus du prix Nobel par Jean-Paul Sartre à l'extrême-droite et les essais politiques écrits par Charles Maurras où il théorise la rupture entre "le pays réel et le pays légal".

L'intellectuel s'engageait également sans se soucier que sa réputation puisse être écornée.

Albert Camus fait, ici, figure de modèle. Il s'est pleinement préoccupé de la problématique algérienne et a défendu une position courageuse qui lui a valu de se faire des ennemis aussi bien parmi les Français d'Algérie que parmi les Algériens. Aussi a-t-il tenté de défendre ses valeurs et ses idées, notamment la justice, dans un débat politique brulant.

Certains penseurs sont même allés plus loin en s'investissant totalement dans la vie politique. Jean Jaurès est l'exemple parfait de cette attitude. Philosophe de formation, il se lance en politique, devient député, et défendra en toutes circonstances ses idées et ses convictions. Il théorisera la nature de son engagement dans son Discours à la jeunesse en affirmant: "Le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel".

Il prouva cet engagement lors de deux grands combats politiques qu'il a menés: la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat qui lui valut beaucoup d'inimitiés au sein du pays mais surtout son pacifisme acharné à la veille de la Première Guerre mondiale. Il fut insulté par nombre de journaux d'extrême-droite et par certains hommes politiques pour ce pacifisme et il sera finalement tué par un déséquilibré pour avoir défendu cette idée.

Néanmoins, le rôle et l'action de ceux que l'on appelle "intellectuels" aujourd'hui n'ont-ils pas évolué? Ne sont-ils pas désormais réduits à un simple rôle de commentateur de l'actualité? Au mieux, ceux-ci se contentent de décrire la société sans apporter de réelle valeur ajoutée à leurs analyses...

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