Est-il si utile d'interroger Marine Le Pen sur la rafle du Vel'd'Hiv' (13 000 juifs de tous âges, raflés par 7 000 policiers ou gendarmes 300 miliciens, 100 Juifs survivants à la fin de la guerre) ? Olivier Mazerolle l'a fait lors du Grand Jury sur RTL. Et Marine Le Pen de considérer que les seuls responsables furent "ceux qui étaient au pouvoir à l'époque, ce n'est pas la France". Quand un policier sodomise un contrôlé, les responsables sont François Hollande et "le pouvoir socialiste" ? Seuls ? En 1572, c'est la seule Catherine, une Florentine, qui décide les massacres de la Saint-Barthélemy (près de 30 000 protestants de tous âges exécutés par on ne sait qui ?).

Et les dragonnades, organisées à partir de 1681, c'est le seul Le Tellier, marquis de Louvois ? Les diverses ratonnades, dont celle du métro Charonne (1962), ce n'est que le préfet Maurice Papon ? Ainsi, les enfants de France seront "à nouveau fiers d'être Français", soutient Marine Le Pen.

Crèches, sapins, cocorico

Lors du débat des candidats à l'élection présidentielle, Marine Le Pen s'était faite tacler par Jean-Luc Mélenchon après avoir estimé que "les crèches dans les mairies comme les sapins de Noël dans les écoles, cela ne participe pas exclusivement de la religion, ça participe de nos racines". Racines polythéistes pour les sapins, popularisés par les Alsaciens-Lorrains s'exilant après l'annexion allemande de 1871.

Ils étaient sans doute protestants ou catholiques en majorité (mais aussi israélites et athées) et la tradition fut importée des Pays baltes et scandinaves. La France, c'est peut-être surtout des chevaliers, comme Lefebvre de La Barre, décapité pour sacrilège, ou de Fréminville (adepte du travestissement, tout comme le chevalier d'Éon).

Fréminville, époux d'une Créole des Saintes, aurait sans doute canonné la foule si elle s'était révoltée lors des exécutions d'esclaves en Martinique (1822), mais à contre-cœur. Tout comme certains policiers et gendarmes, ultra-minoritaires, ont laissé s'échapper des Juifs. Il y aura peut-être aussi des enfants de France fiers de participer à la commémoration de l'abolition de l'esclavage (10 mai prochain à Paris, place Général-Catroux).

Car la France, c'est aussi Toussaint-Louverture, et d'autres généraux noirs, pas davantage miséricordieux ou moins sanguinaires que Rochambeau. Tout comme dans l'Algérie des années 1950-1960, les atrocités de part et d'autre ne sont certes pas les faits constitutifs essentiels des identités française (ou européenne) et algérienne (ou maghrébine). La petite-fille de Jean Le Pen veut peut-être faire de son ancêtre uniquement un résistant et non "de la treizième heure" que dénonçait son père, Jean-Marie, dont la volonté (contrariée car mineur et rejeté) de rejoindre la Résistance n'est pas contestée. La "Marine", qui en connaît quelques-unes, va-t-elle promouvoir les chansons paillardes dans les programmes scolaires ?

Elles sont pourtant plus connues que le Lauda Sion Salvatorem… La France, ce n'est certes pas ses "aspects historiques les plus sombres", comme le relève avec raison Marine Le Pen. Mais les "rouges" du Quatre-vingt treize (1793, de Victor Hugo) étaient-ils plus ou moins féroces que les "bleus" vendéens, angevins et bretons ? Victor Hugo était le fils d'un général révolutionnaire et d'une royaliste. Il prit le parti des victimes de tous bords… C'est cela la France, davantage que des boules de Noël et des santons de Provence. Mais il conviendrait sans doute de cesser d'en faire un thème de racolage électoral, souvent contreproductif ou à l'efficacité douteuse. Les campagnes électorales sont surtout financées par les contribuables, abstentionnistes inclus, et ces questions d'identités incertaines nourrissent plus l'abstention que la réflexion citoyenne.

D'autant que les santons sont importés de Chine ou Tunisie, les boules de Noël fabriquées par Pengfeng Ltd, Shenzhen & Co, Yivu Joymoo Inc., &c. Il y a-t-il lieu, comme l'a fait Emmanuel Macron face à Ruth Elkrief, d'en faire tout un plat sur le mode tel père, telle fille ? Hausser les épaules aurait largement suffi. Néanmoins, Marine Le Pen devrait peut-être plus souvent se souvenir que, contre son gré, elle alimentait les fantasmes qui ont conduit à l'attentat de la Grande Mosquée de Québec, "excusé", si ce n'est "justifié" par une large part de la fachosphère française. "Que rien ne nous arrête, dans ce monde aventureux", chantait Sheila (Comme les rois mages...). Que Marine le Pen préfère Le Chat botté (de Charles Perrault) à Eurodysneyland et ses personnages, soit.

En faire, comme des bondieuseries, un argument électoral, ou s'appesantir sur l'identité française ne prêche que les convaincus. Tous les sondages donnent les soutiens de Marine Le Pen solides, mais nombre de ses sympathisants potentiels auraient tendance à la lâcher. Ce n'est pas avec un cierge devant une statue de Jeanne d'Arc que cela s'améliorera.