Les jésuites ont changé : avant la primaire de la droite, sans le désigner, ils appelaient à se prononcer contre Nicolas Sarkozy (et plutôt pour Juppé, si on lisait bien entre les lignes de La Croix, quotidien appelant à présent à voter Macron). Mais le jésuitisme perdure. Voici donc Jean-Frédéric Poisson, du Parti chrétien (-démocrate, subsidiairement), qui se rallie à François Baroin… Mais contrairement à un Nicolas Dupont-Aignan, dont le parti Debout la France n'obtiendra pas remboursement de ses frais de campagne et devra donc recourir aux emprunts russes (le FN prélevant sa commission), J.-F.

Poisson et le PCD n'appellent pas à faire barrage à Marine Le Pen. Ce ralliement à Baroin vise moins à sauver les meubles, dont le coffre-fort, qu'à tenter d'éviter que les demandes d'exclusion de LR du Parti chrétien et de Christine Boutin soient suivies d'effet. Ce qui priverait Sens commun d'investitures en vue des législatives. Or, François Fillon lui en avait obtenu quelques-unes tout à fait gagnables. Reste à savoir si, comme du côté Debout la France, le PCD ne va pas souffrir de quelques retentissantes déperditions…

Déjà des défections

Même si Sens commun n'appelle pas, comme François Baroin, qui a menacé d'exclusion de LR "tous ceux qui appellent à voter Marine Le Pen", à faire barrage au Front National, ce ralliement lui vaudra des défections.

C'est déjà le cas à La Réunion où le chef de file de Sens commun pour l'île, également secrétaire de LR pour la circonscription de Saint-Denis-Saint-André, a publiquement rallié le Front national. Philippe Ghanty, 33 ans, a estimé que "François Fillon a été victime d'un système, poignardé par des caciques de sa force politique : montrons-leur qu'ils n'auront pas la peau de Marine.".

Jean-Claude Fénelon, son second, se montre tout aussi félon, suivi par quelque 80 "fillonistes". François Baroin va-t-il exiger leur exclusion ou attendre, en cas de défaite de Marine Le Pen, qu'ils rejoignent le bercail LR ? Sens commun est intrinsèquement lié à La Manif pour tous, qui appelle à voter contre Emmanuel Macron.

En fait, c'est LR en son ensemble qui est divisé. D'un côté, presque tout le monde feint de se rallier à François Baroin, de l'autre, une forte faction espère la victoire de Marine Le Pen en vue d'une cohabitation favorisant davantage la discipline de parti que si Emmanuel Macron devenait président. Car En Marche parviendrait plus facilement à débaucher des députés que le Front national. C'est un peu jouer à quitte ou double. Car si Emmanuel Macron passe, nombre de candidats LR seront catalogués alliés objectifs du Front national par une partie de leur électorat naturel. Pour certains, c'est préparer l'avenir, soit un ralliement au FN lors des législatives de 2022, après une éventuelle accession de Marion Maréchal-Le Pen à l'Élysée.

Pari risqué. Le nouveau mouvement Tout sauf Macron n'a rassemblé qu'un peu moins de 200 personnes à Lyon (qui ont manifesté à visage découvert, tandis qu'un millier de sympathisants préféraient s'abstenir de se montrer). Le GUD et l'Action française assuraient le service d'ordre. Le Tout sauf Macron, qui va de l'ultra-droite aux mélenchonistes, avec des modalités différentes (et provisoires ?) pour ces derniers, influera fortement sur le résultat des législatives. Même du côté de France insoumise, des adhérents et sympathisants risquent de bouder des candidatures qui porteront le Front national à un niveau qu'ils estiment dangereux. Appeler à voter Le Pen ou à s'abstenir, comme l'a fait France insoumise, peut conduire à former des ligues susceptibles de fusionner (le boulangisme du général éponyme fédérait de l'ultra-droite à l'extrême-gauche).

Mais dans l'immédiat, soit dimanche 18 juin, second tour des législatives, cela risque de priver LR, le PCF et France insoumise de quelques dizaines de sièges. Jean-Luc Mélenchon appellera-t-il à voter contre les candidats FN parvenus au second tour ? Ou maintiendra-t-il des candidats France insoumise en troisième (triangulaire) ou quatrième position (quadrangulaire) ? Y compris contre des candidatures PCF ou PS mieux placées ? Il n'est pas trop tôt pour y songer. Avec Jean-Frédéric Poisson et Jean-Luc Mélenchon, le jésuitisme est largement partagé, tel un "bien" commun.