Du 11 septembre 2011 à la Lune, d’Alain Soral à Linky, en passant par Beyoncé, les théories du complot prospèrent sur la crédulité des internautes. Elles représentent surtout une véritable poule aux œufs d’or pour leurs auteurs et propagateurs.

Ah, la France, pays des Lumières, du cartésianisme et du triomphe de la raison... Cette image d’Épinal, dont notre pays semble si fier, est pourtant passablement écornée. Selon une étude de l’IFOP, qui a fait beaucoup parler d’elle récemment, près de huit Français sur dix (79 %) adhèreraient en effet à au moins l’une des principales « théories du complot ».

Plus de trois Français sur dix (34 %) croient même à quatre de ces théories, et 13 % à au moins sept d’entre elles.

Sur le podium des idées conspirationnistes prisées de nos compatriotes, on retrouve celle selon laquelle « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins » : 55 % des personnes interrogées y adhèrent. 54 % sont d’accord avec l’affirmation que « la CIA est impliquée dans l’assassinat de John F. Kennedy ». Et 32 % pensent que « le virus du sida a été créé en laboratoire et testé sur la population africaine avant de se répandre dans le monde ».

Le florissant « système Soral »

Si les journalistes, analysant le phénomène, ont principalement pointé du doigt la crédulité des Français, peu ont relevé que les premiers responsables de ces « fake news » sont d’abord ceux qui les produisent et les propagent.

Parfois par sincère conviction ; le plus souvent, hélas, par appât du gain — les théories du complot se monnayant, à force de clics, de produits dérivés et de liens sponsorisés, contre écus sonnants et trébuchants.

Pourtant, il y a déjà deux ans de cela, des journalistes du pure player Street Press avaient mis en lumière les rouages de ce qu’ils ont nommé le « système Soral », du nom du polémiste d’extrême-droite, plusieurs fois condamné pour révisionnisme et incitation à la haine raciale.

Une sorte d'Alex Jones à la française, et grand pourvoyeur de théories du complot devant l’Éternel. Révélant « l’arrière-boutique d’Égalité & Réconciliation » — E&R pour les intimes —, l’association d’Alain Soral, les journalistes démontraient que les seules adhésions à sa structure avaient rapporté au moins 137 736 euros entre mai 2014 et mai 2015.

De confortables revenus, donc, complétés par plusieurs dizaines de milliers d’euros versés par ses aficionados pour pouvoir accéder à ses vidéos complotistes, diffusées sur la plateforme Dailymotion. Quant aux activités éditoriales d’Alain Soral, chapeautées par sa SARL « Culture pour tous », elles généreraient quelque 170 000 euros par mois. La « réinformation » est à ce prix...

Le juteux business « anti-ondes »

Si la sphère politico-historique constitue le principal vivier des théories du complot, celles-ci ne se limitent pas, hélas, à dénoncer un prétendu alunissage des Américains sur notre satellite — théorie à laquelle croient, au passage, 16 % des Français. Depuis l’apparition des premiers téléphones portables, le business anti-ondes bat lui aussi son plein.

Et ses zélateurs ont trouvé une nouvelle cible de choix : le compteur « intelligent » Linky, actuellement déployé sur le territoire français par la société Enedis.

Pourtant, l’électrosensibilité reste à prouver, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (Afsset), « depuis 2005, aucun auteur n’a apporté la preuve d’une relation de causalité entre l’exposition » et cette affection prétendument causée par les ondes émises par les appareils électroniques. Un avis corroboré par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), selon qui il s’agit d’un « trouble psychologique ».

Malgré ces démentis officiels, la Toile regorge de sites fantaisistes, proposant à des clients crédules une multitude de gadgets sensés protéger leurs propriétaires des méfaits des ondes.

Au prix cher : une capuche « Ray Shielding » vous coûtera 320 euros, et un lit à baldaquin anti-ondes — si, si — la modique somme de 1 400 euros.

Face à ces arnaques, comment réagir ? La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a mené l’enquête. Argumentaire « ésotérique » basé sur des études « non reconnues scientifiquement », vocabulaire « fantaisiste ou entièrement inversé »... Les objets vendus sur ces sites, exploitant « l’anxiété des consommateurs », « sont le plus souvent vendus sur des bases farfelues ». La DGCCRF a dressé plusieurs procès verbaux pour pratiques commerciales trompeuses et envoyé une série d’avertissements aux sites concernés.

Les réseaux sociaux comme Facebook sont très largement gangrenés par ce type d'arnaque.

Beyoncé remplacée par un clone ?

L’art du fake ne semble donc pas avoir de limites — tant que cela rapporte. Preuve en est, la multiplication, aux États-Unis, des vidéos et articles complotistes, dont chaque clic enrichit leurs auteurs. Dernier filon en date, les vidéos annonçant la mort ou le « remplacement » de stars du show-business par un clone, deviennent virales sur les réseaux sociaux.

Sur la page Youtube Vrillex, on a ainsi pu apprendre que la chanteuse Beyoncé avait été « remplacée », « preuves » photographiques à l’appui. La vidéo, sobrement intitulée « Illuminati Clones : Was Beyoncé Replaced ? » a été vue plus de 200 000 fois, massivement partagée, et même reprise, sur le ton de l’ironie, par des médias plus sérieux. Autant de clics qui remplissent les poches de tous les acteurs de la chaîne.