A quelques jours du neuvième round de négociation du TTIP/TAFTA, qui aura lieu à New York du 20 au 24 avril, voici un entretien avec la Commissaire européenne au commerce, la Suédoise Cecilia Malmström. Continuant le travail commencé par son prédécesseur, le Belge Karel De Gucht, elle chapeaute notamment les négociations de l'accord.



Une contre-expertise du Parlement européen a critiqué les bénéfices potentiels du partenariat transatlantique affichés par la Commission. Comptez-vous faire une nouvelle évaluation de l'impact économique, avec cette fois l'impact environnemental et social ?

Cecilia Malmström. Avant le début des négociations, on avait commandé une étude au CEPR, centre de recherche politique à Londres. Toutes les évaluations, sauf celle du CEPR, pointent dans la même direction : elles prévoient de la croissance. Plusieurs États membres ont fait leurs propres évaluations, dont le Portugal, la Slovénie, la République tchèque et bientôt l'Irlande. La Commission prépare une étude d'impact sur le développement, et quand le texte final de l'accord sera composé, on fera d'autres évaluations.

L'étude du CEPR parle de bénéfices comme 119 milliards d'euros par an pour l'Europe et 95 milliards d'euros par an pour les États-Unis, et une croissance du PIB de l'Europe entre 0,5% et 1% une dizaine d'années après l'application de l'accord...

Cecilia Malmström. On m'entend très rarement citer un chiffre spécifique, mais les évaluations d'impact économique disent qu'il y aura de la croissance et de l'emploi.

On pourra bientôt se rendre compte des bénéfices de l'accord passé entre l'Europe et la Corée du Sud. Même si la situation est différente, on pourra en tirer quelques conclusions générales.

À propos du mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et états (ISDS ou RDIE), Matthias Fekl, secrétaire d'Etat français chargé entre autres du Commerce extérieur, et Sigmar Gabriel, ministre allemand de l'Économie, réfléchissent à une sorte de cour d'arbitrage ISDS permanente...

Cecilia Malmström. Je pense que c'est une bonne idée, mais cela ne peut se faire demain. Il faut plutôt l'envisager comme un but à long terme. Pour l'ISDS, il faut l'envisager à court terme, en attendant que cette cour permanente voie le jour. Je pense que personne n'est contre cette idée. Il faut y travailler, ce n'est pas évident.

Avec le TTIP/TAFTA, l'Europe et les États-Unis veulent rester les marchés les plus importants au monde. Et les États-Unis négocient encore depuis 2008 l'accord transpacifique avec onze pays de la zone. L'Europe parviendra-t-elle à son ambition en imposant des normes mondiales ?

Cecilia Malmström. Si on arrête les négociations de l'accord transatlantique, quelqu'un d'autre que nous imposera des normes dans quelques années. Dans l'accord transpacifique, il n'y a pas l'ambition d'imposer des normes mondiales.

Le texte final du TTIP/TAFTA pourrait comporter 1500 à 2000 pages. Les députés européens et nationaux auront-ils le temps de l'étudier, d'en évaluer l'impact ?

Cecilia Malmström.

Le Parlement européen a demandé 8 ou 9 mois de consultation. On enverra ce document avant la traduction juridique et avant l'étape de ratification. Au fur et à mesure qu'on rédigera les chapitres du texte final, on les partagera avec les institutions concernées. On n'enverra pas tout d'un coup en disant "Voilà, c'est fait!". En ce moment, il n'existe aucun texte final.

Le texte final sera-t-il amendable si le Parlement européen ou les États membres veulent changer tel ou tel point ?

Cecilia Malmström. C'est plutôt le Conseil qui a l'habilité d'amender l'accord.

En Belgique, comme d'autres pays en Europe, plusieurs villes se déclarent symboliquement hors zone du partenariat transatlantique, comme Tournai, Liège…

Cecilia Malmström. On ne peut se déclarer hors de l'accord. J'entends les critiques. Je dois toutefois rappeler qu'il n'existe actuellement aucun texte d'accord. Ces villes se sont déclarées hors d'un projet qui n'a rien de final. Je pense que les politiciens responsables vont tout de même attendre de lire le contenu de l'accord avant de se prononcer. S'il est approuvé, il intervient à tous les niveaux de gouvernement, de même qu'à toutes les communes de Belgique.

Le Conseil, en déclassifiant le mandat de l'accord le 9 octobre 2014, s'est efforcé d'être plus transparent. De même, vous publiez depuis quelques mois plus de documents, notamment les positions européennes sur le projet. Mais les textes les plus importants gardés secrets traitent des mesures concrètes qui seraient appliquées. Comptez-vous les publier ?

Cecilia Malmström. Si ces textes dont vous parlez sont conclus et si les États-Unis sont d'accord, bien sûr que nous les publierons. Comme jusqu'à présent il n'y a aucun chapitre finalisé, qu'on en est encore à l'étape des négociations techniques, tout peut changer.

Les négociations de l'accord seront-elles conclues en 2015 ?

Cecilia Malmström.

Elles ne seront pas terminées cette année, mais si on travaille dur dans les prochains mois on aura peut-être un squelette du texte final, et au printemps 2016 on pourra conclure les négociations. Cela dépend bien entendu du contexte électoral aux États-Unis.

Le Buy American Act, loi fédérale américaine qui impose l'achat de produits américains notamment aux promoteurs, comme les entreprises européennes établies aux États-Unis, cette loi sera-t-elle conservée ?

Cecilia Malmström. Les États-Unis ne vont pas complètement l'enlever. Nous verrons en quoi ils peuvent faire des concessions là-dessus.