"Ce n’était pas tant le décor alentour qui la touchait, mais l’interprétation que Tom en faisait".

Phalène fantôme, c’est d’abord l’histoire d’une famille irlandaise ordinaire. Sur fond de violence à Belfast, George et Katherine ont quatre enfants, sont catholiques, et la routine semble occuper les journées de tous. Plage, kermesse, les querelles des enfants, les "bobos" à soigner, tout semble bien loin de l’extraordinaire. Cependant le roman commence par une étrange scène qui nous sort de l’ordinaire coutumier. Katherine décide de se baigner et s’éloigne très vite de la rive.

Elle aime nager. Soudain elle se trouve face-à-face avec un phoque aux yeux grands ouverts qui la fixent. Prise de panique, elle tente de rejoindre la berge et manque de se noyer. Son mari, George vient à la rescousse mais ne sait pas nager. Après un long moment il réussit enfin à lui venir en aide. Il est étonné car il n’a vu aucun phoque. Cela trouble Katherine qui reste silencieuse.

Le phalène fantôme est un papillon de nuit qui est l’âme égarée d’un mort. C’est ainsi que Katherine raconte à sa fille Elsa, criblée de coups de soleil : "Une nuit, un essaim entier est arrivé; un essaim entier de phalènes d’un blanc qui m’a recouverte de la tête aux pieds. Je n’en revenais pas. Je me rappelle avoir pensé: voilà ce qu’on doit ressentir quand on est au ciel".

Mais la réalité reprend le dessus. George est pompier volontaire. Il doit aller à Belfast où des combats font rage. Katherine l’en dissuade, mais il préfère partir… peut-être pour oublier qu’il a surpris sa femme, au retour de la plage, plongée dans ses souvenirs, une statuette ancienne à la main. Le récit opère alors un flash-back.

Nous quittons l’année 1969 pour 1949. C’est le récit romanesque de la rencontre amoureuse de Katherine avec Tom, le tailleur, qui doit lui confectionner une robe pour le personnage de Carmen qu’elle joue sur scène. Comme dans l’opérette, l’histoire d’amour de Tom et Katherine est assez convenue. C’est le coup de foudre.

Puis c’est le retour à l’année 1969, où se déroule une kermesse.

Isabel, une jeune adolescente incarne la libération des années 70, par son apparence de liberté. Mais très vite, on s’interroge car à cette fête, tout est faux: l’amitié, les sentiments… Isabel se met en scène. Tout est calculé. Le sens de cette année 1969 est donné par Maureen, la fille aînée de Katherine. Elle s’est déguisée en voyante, tient un stand et lit la bonne aventure. On croit au hasard de la rencontre, à l’amour. Katherine l’explique avec ses mots à sa fille.

On pourrait croire, à la première lecture, qu’il s’agit d’un roman "à l’eau de rose", un de ces romans qui font rêver les Bovary. Mais il n’en est rien. Plusieurs indices le montrent. Tout d’abord le va et vient entre l’année 1949 et l’année 1969 semble opposer un amour passionné à un amour raisonnable et raisonné.

Il n’en est rien. Des événements troublent l’ordre réaliste, et l’amour idéalisé se voit rattrapé par des événements le troublant à son tour. A un détour du roman, une phraseà propos de Tom retient l’attention: "Il sait faire jaillir le merveilleux de l’ordinaire". Le merveilleux c’est encore la scène où Katherine apparaît sur scène, habillée en Carmen, sa robe, créée par le tailleur de tissu - texture du texte. Le personnage de Katherine fuit cette répétition de la vie dans ce qu’elle a de répétitif. La tragédie humaine qui se joue à Belfast nous ramène à l’ordinaire, son mari Georges.

Puis c'est le drame final. Chaque année en porte un. Chacun semble porter en lui la fin d'une histoire et le commencement d'une autre.

A la fin, Elsa, la fille de Katherine et George attend les phalènes fantômes... miroir inversé du phoque inaugurant le roman. Elle attend d'être recouverte telle la page qui attend ses signes. Allongée sur sa chemise blanche, elle est ce texte, ce tissu-suaire, ce roman qui sauve le temps de la mémoire.

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