"La naissance n'est rien où la vertu n'est pas", écrivait Molière. Mais là où est la vertu, la naissance ne trahit pas son titulaire.C’est ce qu’a démontré ce 11 Mai au soirSalam Kawakibi, chercheur franco-syrien en sciences politiques et relations internationales, Directeur adjoint de l’Institut arabe pour la Réforme, à l’Institut de Recherches et d’Etudes Méditerranée et Moyen-Orient (IREMMO) à Paris où il s'exprimait avec son compatrioteFarouk Mardam Bey, Directeur éditorial des Editions Sindbad-Actes Sud.
La rencontre avait pour thème le livreDu despotismeet autres textes, composé d'écrits ayant pour auteur‘Abd al-Rahman Kawakibi, souvent nommé simplement "Kawakibi",grand-père de Salamqui a rédigé les préface et postface de l'ouvrage.
La modératrice en était la traductrice des textes ainsi rassemblés, lajournaliste et responsable associative franco-syrienne Hala Kodmani.
Un personnage célèbre simal connu
Après un rappel historique de Farouk Mardam Bey, notamment du Tanzimat, le temps des réformes au dix-neuvième siècle dans l’Empire ottoman qui ouvrit la voie à l’émergence de nouveaux intellectuels inspirés par les thèses libérales occidentales, Salam Kawakibi fit mourir de rire puis trembler l’assistance en parlant d'abord d’une journaliste qui, à la sortie du livre en français, insistait pour contacter"l’auteur"décédé en 1902, et ensuite, dans sa Syrie natale, de la Mukhabarat, lasécurité politique, qui recherchait Kawakibi, le croyant bien vivant,tant sa pensée faisait trembler la dictature.
Des "rue Kawakibi", "école Kawakibi", dans le monde arabe, on en trouve partout. En 2006, c’était d’ailleurs tout ce que la Syrie des Assad entendait célébrerà l’occasion du festival "Alep, capitale de la culture musulmane" : dans la ville dont Kawakibi fut le maire, ses idées n’avaient pas droit de cité! Fuyant la pression des autorités locales, Salam Kawakibi quitta alors la Syrie.
Une pensée glaçante d’actualité
Là-bas, toutes les tendances politiques se réclament de Kawakibi et le présentent comme un précurseur de leur idéologie: communistes, islamistes, populistes d'extrême droite– et même le parti Baas au pouvoir.Mais la pensée de Kawakibi va tellement plus loin. La relire à la lumière des événements actuels en Syrie et dans le monde arabe fait éclater toute notion du temps.Partisand’une "laïcité croyante", Kawakibi estimait que la religion ne doit pas se salir les mains des turpitudes du monde politique, d’où le besoin de séparer la religion de l’Etat.
Exit, donc, avec lui, tout prétendu "Etat islamique".
Lire le Coran sans se référer aux sciences humaines– sciences politiques, philosophie politique, anthropologie– était pour lui une grande occasion manquée dans le monde arabe. Kawakibi voyait en les sciences humaines le moyen d’apprendre aux êtres humains leurs droits, cinquante ans avant la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.Une démocratie sans contrôle strict, écrivait Kawakibi, ne peut que connaître des dérives. Dans ces années 1890, il appuyait en cela son propos sur des scandales en France, tels que l’affaire Dreyfus et celle de … Panama. Déjà !
Et si la description du despote selon Kawakibi n’est pas une authentique prophétie du Président syrien actuel, Bachar el-Assad, comment expliquer alors ces propos tenus en 2003 à Salam Kawakibi par le chef local de la Mukhabarat, furieux d’un colloque organisé à l’Institut français d’Alep pour les cent ans de la mort du penseur: "On a fait tant d’efforts pour construire l’obscurantisme dans ce pays, et vous, vous venez tout ruiner en trois jours"?Ce dont rêve Salam Kawakibi, ainsi que Hala Kodmani et Farouk Mardam Bey avec lui, c’est bien, en effet, de "ruiner"aujourd’hui et pour toujoursce despotisme que dénonce avec tant de justesse son aïeul à travers le temps. Confirmant ainsi un nom qui, en Syrie et ailleurs, a pour histoire celle d’un symbole de la liberté.
Hamaetla répression du régime syrien