Lorsque l’on est passionné de Cinéma et séries, on a tendance à traîner tard sur les réseaux sociaux. Et, on a parfois de bonnes surprises !

Alors que la sortie du trailer d’"Uncharted" a secoué les réseaux sociaux la semaine dernière, c’est sur... un réseau que j’ai eu la chance de pouvoir échanger avec un professionnel des effets spéciaux. Qui a justement travaillé sur… "Uncharted" !

Cet heureux hasard était donc l’opportunité de réaliser un échange instructif et de mettre en lumière un domaine encore méconnu.

Un expert en effets spéciaux

Rencontre avec Julian Horlaville, technicien Lighting 3D, Canada. Travaille dans la 3D depuis plus de 10 ans.

C’est vers l’âge de 15 ans que Julian Horlaville, 30 ans, a commencé à s’intéresser aux effets spéciaux.

Ce passionné a fait ses premiers pas au lycée, après avoir choisi de s’orienter vers une 2nde SI (Sciences de l’ingénieur). Doté d'un esprit curieux, c’est au cours de cette année de lycée qu’il a découvert les logiciels de création d’effets spéciaux 3D qu’il a alors commencé à manier seul. Il a ensuite passé un bac STI génie mécanique, puis il a intégré une école de 3D effets spéciaux. Il a ensuite fait de la 3D pour de la publicité.

Autodidacte, il a d’abord travaillé comme freelance / intermittent du spectacle pour des sociétés de production 3D ou de publicité. Il a ensuite créé sa société de production 3D et s’est spécialisé dans l’image automobile. Il a notamment travaillé pour de grosses entreprises automobiles comme Peugeot, Renault, Citroën.

Il a dirigé son entreprise pendant 3 ans, avec pour principaux clients PSA et Toyota.

Mais sa passion pour la 3D l’a rattrapé, il a souhaité changer de voie.

Il a quitté la France pour saisir une grosse opportunité professionnelle. En effet, il s’est envolé vers Montréal pour une période de 6 mois, pour travailler sur un premier gros film : "Godzilla : king of the monsters” (en français : “roi des monstres").

Rien que ça !

Il avait alors confié la gestion de son entreprise à son associé.

Pari réussi pour cette première expérience effets visuels ! Il a donc décidé de revendre sa société, de quitter la France pour s’installer à Montréal où il réside toujours actuellement. Il a travaillé pour plusieurs grosses entreprises d’effets spéciaux : MPC ou Moving Pictures Company, Method Studios.

Il travaille actuellement pour DNeg.

Questions/réponses

En quoi consiste ton activité ?

En français, on pourrait utiliser le terme technicien en effets spéciaux. Mon travail n’est pas évident à expliquer en français car 95% des termes liés à ce genre de travail sont en anglais. Surtout dans les gros blockbusters. Historiquement, les grosses sociétés sont situées aux Etats-Unis et en Angleterre.

Mon métier, spécifiquement, c’est Lighting Artist. Cela signifie artiste d’éclairage. Ce qui s’apparente à un directeur de la photographie sur un plateau de tournage (professionnel qui gère l’esthétique de l’éclairage).

Je gère les effets visuels lumière dans le domaine de la 3D, sur ordinateur : d’où vient la lumière, comment les matériaux vont réagir à cette lumière… Il faut faire en sorte que la lumière apparaissant dans la 3D corresponde à celle que l’on a pu avoir sur le tournage.

Et que tout fonctionne ensemble.

Cette fonction couvre un champ de compétences important. Et ce n’est qu’une petite spécialité d’un très vaste panel de fonctions.

Créer des effets visuels demande aussi bien des compétences artistiques que des compétences techniques.

Entre technique et artistique, ce domaine peut plaire et correspondre à beaucoup de gens. Malgré ça, on n’a pas assez de monde. Il n'y a pas assez d’artistes. Nous travaillons donc beaucoup et faisons beaucoup d’heures supplémentaires dans ce domaine.

Comment travaille une équipe d’effets spéciaux 3D sur un film ?

En pré-production, avant que le film commence, le studio de production engage des concept artists. Ce sont eux qui conçoivent le design des persos, des objets à intégrer, à l’aide de dessins, de 3D, de sculpt (ils peuvent utiliser de l’argile, par exemple).

Il faut les créer avant de les utiliser.

Le concept art est ensuite transmis aux sociétés d’effets spéciaux. Plusieurs équipes de ce domaine vont généralement travailler ensemble sur différents effets.

Avant de créer les effets visuels, il y a donc cette étape fondamentale : la création de l’asset (l’objet), qui peut être un personnage, un véhicule, un vaisseau spatial...

Après la mise en forme de l’objet, il faut le texturer, finaliser son look, son apparence, détailler les pores de la peau, déterminer comment la peau réagit à la lumière pour un perso, par exemple, avant de le modéliser en 3D. Les sociétés d’effets spéciaux donnent corps au design de l’asset au cours de la phase de production.

Tous les éléments 3D vivent dans le même univers que les objets et personnages du film. Il faut donc tenir compte de l’éclairage, de la réaction de la lumière dessus. Le compositeur prend l’image 3D et l’intègre avec les autres images réelles du film, en faisant en sorte qu’elle s’y intègre de manière naturelle et uniforme.

Ce travail de précision demande parfois des années de travail en amont, mais les délais peuvent être raccourcis. On peut avoir des délais de 6 mois.

J’ai travaillé sur "Top Gun : Maverick", qui n’est toujours pas sorti, par exemple. La conception des effets spéciaux a duré 2 ans pour ce film.

Pour "1917", par contre, les effets spéciaux ont demandé 2 mois de travail. Très rapide.

Comment se passe le partenariat avec la production, le metteur en scène et les acteurs ?

Il n'y a aucune interaction avec le réalisateur, les acteurs et la production. La seule interaction avec les acteurs, c’est quand on les voit sur son plan.

On voit surtout des retours de mails ou commentaires clients.

En fait, il y a plusieurs superviseurs d’effets visuels qui gèrent les équipes. Ce sont eux qui gèrent les demandes de la production et du réalisateur.

Sur quels films as-tu travaillé ?

  • "Godzilla : king of the monsters” (en français : “roi des monstres") (2019)
  • "Maléfique" (2014)
  • "Le voyage du Dr Doolittle" (2020)
  • "Clifford" (2021)
  • "Top Gun : Maverick" (2022)
  • La série "For All ManKind" (2019)
  • "Uncharted" (sortie programmée en 2022)

Peux-tu nous confier une anecdote drôle ou qui t’as marquée, sur un des films sur lesquels tu as travaillé ?

On a eu des difficultés à travailler sur les ailes de Maléfique.

Je conseille à ceux qui n’ont pas vu le film d’être attentifs à “la logique illogique” des ailes de Maléfique.

Sur Doolittle, deux choses. Ce film a été nommé comme le pire film de l’année 2020. Et, en plus de ça, j’ai travaillé sur la séquence avec le dragon.

Dans cette séquence, j’ai travaillé sur la scène, enfin sur un des plans, sur lequel SPOILER ALERT…., Robert Downey Junior fouille dans l’anus du dragon. Et j’en suis très fier. Pour info, il a fallu travailler 2 ans sur les effets spéciaux du film "Le Voyage du Dr Doolittle".

Quelle formation faut-il suivre pour travailler dans le domaine des effets spéciaux ?

La plupart des formations en effets spéciaux sont généralistes. Mais en fait, si on se limite à la formation, il est difficile de trouver un travail derrière.

La formation permet d’avoir accès à un réseau, de connaître du monde et c’est un premier job (ou un premier stage) qui va déterminer la suite de ta carrière.

L’école, en elle-même, donne les outils, le langage à maîtriser pour évoluer dans le milieu, mais les compétences vont être acquises au cours de l’activité professionnelle.

Les formations ont évolué depuis mes études, mais il faut imaginer que la quantité d’infos à apprendre est équivalente à celle des écoles d’ingénieurs (soit environ Bac+5). Peut-être même plus, car il faut apprendre la technique, de la même manière qu’un ingénieur. Il faut aussi être capable d’avoir un regard artistique sur les images produites. D’ailleurs, peu importe la spécialité, il y a un gros facteur visuel.

Que conseillerais-tu à un jeune qui souhaite travailler dans le milieu des effets spéciaux ?

Je lui conseillerais de ne pas se limiter. Une personne qui n’est pas trop douée artistiquement peut s’en sortir grâce à la technique et vice-versa. Au fur et à mesure, on évolue.

Je lui conseillerais également de commencer avant d’intégrer une école : commencer à filmer des plans, à essayer d’intégrer des plans en 3D ou d’utiliser des logiciels 3D pour faire de la modélisation ou de l’intégration.

95% des écoles d’effets spéciaux sont privées et coûtent entre 7 000 et 8 000 €/an, sur 3 ans, alors que tout le savoir nécessaire est dispo sur Youtube, pour moi. L’école apporte de la rigueur et une discipline de travail, mais elle n’apporte pas plus.

Merci à Julian d'avoir accepté de répondre à nos questions !