Pour Recep Tayyip erdogan, avant même que tous les bulletins soient dépouillés, les résultats en sa faveur étaient "clairs". Ce alors que la capitale, Ankara, faisait remonter, comme Istanbul, des résultats inverses, et que le non avait atteint 68,78% à Izmir. Ce résultat semble "crédible" alors qu'Erdogan attendait un plébiscite. Ce n'est pas vraiment le cas. Pourtant, après les purges massives et les fuites à l'étranger pour échapper à l'emprisonnement, et une campagne totalement en faveur du "oui" dans les médias ayant subsisté aux fermetures ou faillites provoquées par le pouvoir, tout semblait indiquer que le oui l'emporterait très largement.

Ce faible écart est dû à un électorat parfois tétanisé par la crainte d'arrestations et qui a pourtant voté non, ce même au sein de celui du parti présidentiel, l'AKP. Car la réforme place Erdogan avec quasiment les pleins pouvoirs et une possibilité de rester jusqu'à dix, voire quinze ans au pouvoir. Les parties occidentales et côtières de la Méditerranée ont majoritairement voté non, comme les zones kurdes voisines de la Syrie, de l'Irak et de l'Iran ou frontalières de la Géorgie ou de l'Arménie.

Un vote contesté

La Turquie compte de multiples partis mais AKP (justice et développement), MHP (action nationaliste) et BBP (Grande Unité) s'étaient alliés pour le oui. En face, pléthore de formations mais deux partis d'opposition principaux, CHP (social-démocrate) et HDP (Démocratique des peuples, proche de la population kurde).

Lesquels contestent les résultats sur la base d'irrégularités, d'intimidations, et de la validation de bulletins ne portant pas les mentions officielles. CHP et HDP réclament des vérifications portant sur les deux-tiers des résultats. Les fraudes représenteraient entre trois et quatre pour cent, estime l'HDP. L'autorité de supervision du Référendum a déclaré en cours de vote, ce dimanche, que les bulletins ne portant pas le sceau officiel seraient validés, sauf s'il était déterminé que bulletins et enveloppes aient provenu de l'extérieur des bureaux.

Un journaliste qui s'était prononcé pour l'AKP précédemment, mais pour le non au référendum, a été l'objet d'une agression au sortir d'un bureau de vote d'Istanbul. La plupart des personnes interrogées au sortir des bureaux et s'étant prononcées pour le non ont exigé le plus total anonymat. Vendredi dernier, la Turquie a interdit l'activité de quatre organisations non-gouvernementales (deux étasuniennes, une italienne et une britannique) … Une rafle de 412 personnes présumées kurdes ou pro-kurdes est aussi intervenue voici trois jours.

Un employé municipal stanbouliote avait cependant été suspendu dès le 13 avril pour avoir proclamé que les partisans du oui pourraient considérer les femmes et filles des votants pour le non comme des "prises de guerre". 18 articles étaient soumis au vote mais les partisans du oui ont surtout mis en avant les questions sécuritaires, les ingérences étrangères et le progrès économique (actuellement en fléchissement). Voter non, c'était aussi risquer de mettre son devenir post-mortem en danger (soit en votant avec de mauvais musulmans), le oui relevant d'un "devoir religieux", le non d'un soutien au terrorisme ou aux religions non-musulmanes. La Turquie et les communautés turques de l'étranger sont désormais profondément clivées et certains partisans d'Erdogan prêts à justifier toutes les spoliations envers ses opposants devenus "haram".

Un parlementaire du HDP a déclaré "dans les régions kurdes, nous avons voté à l'ombre des armes". Dès à présent, Erdogan pourra continuer de purger la magistrature et nommer lui-même les ministres. Erdogan s'est offert la possibilité d'élargir encore ses pouvoirs et de rester en place jusqu'en 2029. La Turquie devient de fait le troisième grand État théocratique du Proche-Orient mais placé sous la férule d'un dirigeant aussi autoritaire que celui d'Arabie. Devant ses partisans de l'AKP, Erdogan s'est empressé de déclarer : "on peut aussi faire un référendum sur la peine de mort" (ce qui sera sans doute superflu : il est si facile de mourir en prison et qui exécutera un opposant risquera fort peu).

L'Union européenne réagira faiblement et après tout, si l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède conservent des ambassades en Corée du Nord, pourquoi pas en Turquie, toujours candidate à rejoindre l'UE.