Penguin a relancé le tirage de 1984 : 75 000 ex. pour la version originale de 1948. Folio, Ullstein, Debolsillo, Mondadori, &c., devraient suivre. Pour les impécunieux, signalons que des traductions convenables sont accessibles gratis en ligne. Dès que la présidence Trump a fait état de ‘’faits alternatifs’’, tous les lecteurs de G. Orwell et E. Blair (savoureuses chroniques de l’Observer), de Guy Debord (La Société du spectacle), ont pensé soit à l’un, soit à l’autre, le plus souvent aux deux. À la Propagandastaffel et la Gleichschaltung (mise au pas) de Joseph Goebbels, non accessoirement.

Mais c’est bien sûr le Ministry of Truth qui vint immédiatement à l’esprit (mes chroniques en témoignent). Qui se souvient de Sergei Stephanovitch Tchakhotine, ‘’le russe-allemand’’, du ‘’franco-russe’’ Vladimir Volkoff (La Désinformation, arme de guerre), ou de Simon Leys, se nourrit d’autres références.

Réinformation

Les lecteurs du blogue Droite(s) extrême(s) du Monde et observateurs des productions en ligne de la Fachosphère savent ce que véhicule le terme de ‘’réinformation’’. Vaguement ou plus précisément. Pour résumer, la réinformation consiste à dénoncer les ‘’journalopes gauchiasses’’, valets serviles de… (plusieurs variables) et diffuser la Vraie Vérité de la Vérité Vraie frappée au coin du sens commun.

Tout un champ de recherche sémiotique, linguistique, médialogique, &c., s’est ouvert. Mais l’observation superficielle ne perçoit guère que l’effet boule de neige ne tient pas qu’au mimétisme (chaque nouvel intervenant calquant et ses éléments de langage et les ressorts de sa prose sur le précédent). C’est plus structuré, pensé, et d’autant mieux viral que cela peut rapporter très gros aux émetteurs les mieux organisés.

Les récepteurs répercutent, d’abord en toute bonne foi, puis, pour les plus niais et les plus futés, avec une retorse jouissance. Car c’est aussi ludique. Grimper les échelons et bosser en se bidonnant, avouez que c’est tentant. Sur les deux côtes des États-Unis, mais aussi en Macédoine ou au Monténégro, d’ex-amateurs sont passés professionnels.

Nul besoin de toucher les subsides d’un mécène aux vues présumées opposées à celles de l’épouvantail George Soros, la pub rentre toute seule. La marrade consiste à ambiancer de fausses nouvelles et le cambouis moins rigolo, c’est d’amorcer la pomper pour les faire tourner. Ensuite, on passe à la suivante. C’est prenant. Une bonne grosse vanne, un photomontage cocasse, étant plus convaincants qu’un long discours, le remue-méninges est permanent : le talent finit par égaler celui des titreurs (secrétaires de rédaction chargés des seuls titres) du France-Soir de la grande époque. Le Front national (canaux historiques et autres) et la droite hors les murs sont moins que plus instigateurs (avoués ou inavoués) mais surtout bénéficiaires.

Les trumpistes, qui sont passés d’Ali Juppé à Farid Fillon, ont plus d’un tour dans leurs sacs à malices. D’abord, le mot d’ordre discret fut de créer de faux comptes (Twitter et autres réseaux) en se faisant passer pour des militants FN s’exprimant en nom propre. À présent, Trumpwin2016 (et consorts) suggère de créer de fausses pages (Facebook et autres) avec des profils variés et insolites. Y compris d’homosexuels, d’israélites, de gisquettes, de loubards, de bécébeiges, &c. Et de véhiculer des messages et interventions allant dans le sens des éléments de langage frontistes pour prôner un soulèvement patriotique qui aurait l’assentiment de toutes les couches de la société, un raz-de-marée d’un peuple pour Marine soudé, en dépit de sa diversité, par un même élan, de mêmes aspirations.

Les thèmes privilégiés sont sécurité, soutien aux forces de police et armées, grand remplacement, médias et politiciens pourris. Dans une moindre mesure, valeurs familiales tradis (en couples, lesbigays peut-être, mais opposés aux études de genre). C’est de la bombe, permettant aux plus doués de faire bombance.