Le prix du Jury à Cannes récompense des œuvres souvent inclassables, aux desseins cinématographiques singuliers. On dit souvent que c’est la Palme coup de cœur… En 70 ans de festival, le prix est revenu à des films aussi différents que L’Avventura d’Antoninoni, Persepolis de Marjane Satrapi, Le Septième Sceau de Bergman, Easy Rider, La Reine Margot, Festen…

Cette année c’est Faute d’amour du réalisateur Andrey Zvyagintsev qui l’a eu (ou littéralement pas d’amour en Russe). C’est plus que largement mérité. C’est un grand film. Une grande tragédie. Une plongée insoutenable et crépusculaire dans la Russie contemporaine à l'aube du 21ème siècle et l’intimité d’un couple mort.

C’est aussi en partie une chasse à l’enfant haletante avec des plans absolument grandioses qui évoquent plus d’une fois le maître du cinéaste : Andrei Tarkovski. Attention ce film est véritablement éprouvant et peut provoquer une descente d’organes chez les spectateurs les plus émotifs.

Une première partie qui parle de la société russe contemporaine et d'un couple déchiqueté

Le début est aussi banal que la réalité. Un couple se sépare et attend avec une impatience désespérée que leur appartement soit vendu pour commencer une vie nouvelle avec leur amant(e)s respectif(ve)s. Le fils fait désormais partie du passé du couple et ne fait plus que graviter autour de leur vie. La première partie du film parle de ces gens qui ne se sont probablement jamais aimés, qui ont fait un enfant sans le vouloir et ont choisi aujourd'hui d’aimer quelqu’un d’autre chacun de leur côté dans un nouveau quotidien où l’enfant est oublié.

Subtilement Zvyagintsev décrit avec un regard critique une société poutinienne qui a résolument adopté les codes occidentaux capitalistes tout en réintroduisant les règles morales d’un autre temps, celui des tsars (avec la montée d’un certain intégrisme orthodoxe).

Une seconde partie à mi-chemin entre tragédie et thriller

La seconde partie du film s’articule autour de la disparition du garçon et les agissements déchirants des parents pour le retrouver.

La douleur de la perte d’un enfant, à un moment négligé, est retranscrite avec une force saisissante et un réalisme à la limite de l’insoutenable. Le film bifurque vers un format qui lorgne doucement vers le thriller avec cette chasse à l’enfant désespérée et haletante. Pour plusieurs raisons on ne respire plus. La mise en scène est d’une beauté époustouflante et on ne parlera jamais assez de la scène où les recherches se déroulent dans un vieux bâtiment abandonné datant d’avant Elstine… les images et les plans sont inoubliables.

Le film se clos dans un désarroi absolu et continue de hanter le spectateur après la projection… bien après… Oserait-on prononcer le mot chef d’œuvre…?