Les manifestations de masse qui ont marqué profondément la Roumanie la semaine passée ne sont plus – provisoirement – d'actualité. Certes une large partie de l'opinion réclame toujours la démission du gouvernement mais l'attention se porte à présent sur les diverses "proclamations" issues de diverses villes et demandant de profondes réformes. L'acceptation, par le parlement dominé par le PSD, de la proposition de référendum émanant du président Klaus Iohannis (centre-droit, ou plus simplement opposant au PSD) sur la corruption, contribue à l'apaisement des vives tensions.

Klaus Iohannis aura la prérogative de fixer la ou les questions et de déterminer la date de la consultation. Le parti au pouvoir avait bien tenté de fragiliser la présidence, en organisant d'assez faibles manifestations devant sa résidence, en vain.

Indépendance des magistrats

D'autres facteurs entrent en jeu. Les sénateurs de l'équivalent de la commission des lois du Sénat français ont décidé de reporter d'un mois un projet de loi garantissant mieux les nominations des magistrats des hautes cours et du parquet général. Ce comité judiciaire proposait que seul l'équivalent du Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations, et non plus proposées par le ministre de la Justice au président de la République, qui consultait ensuite le CSM.

Le projet de loi restreint aussi l'accès aux plus hauts postes : seuls les juges ou procureurs ayant dix ans de carrière pourraient postuler. Cela peut-il signifier que le projet sera d'ici là remanié, et dans quel sens ? Plus largement, les proclamations (émanant notamment des villes universitaires occidentales de Cluj et Timisoara) réclament des mesures très concrètes d'assainissement de la vie publique.

Et leurs manifestants, comme à Bucarest et en d'autres villes, en appellent à l'Union européenne, estimée trop timorée face un gouvernement qui défend à présent une ligne eurosceptique, sauf en matière de défense (la menace russe est prise très au sérieux). Le PSD avait été assez largement reconduit au pouvoir lors des élections de décembre, après la démission du gouvernement Ponta (contraint déjà à la démission par une semaine de manifestations à la suite de l'incendie d'une boîte de nuit ayant bénéficié de passe-droits qui avait fait une soixantaine de victimes).

Mais la population jeune avait très largement boudé les urnes, considérant l'élection jouée d'avance, frauduleuse, et les très nombreux résidents roumains à l'étranger n'avaient pas tous pu voter. Cette population, qui s'étend aux moins de 50 ans, est beaucoup plus pro-européenne que celle, vieillissante, des localités rurales, qui bénéficie d'aides diverses ayant pu jouer au profit du PSD. Pour Dan Ionescu, analyste qui s'exprimait pour Euronews, une majorité adhère aux valeurs communes de l'UE. "Nous voudrions plus que des mots" de la part de l'UE réclament nombre de manifestants. Cela touche aussi divers membres de la société civile et Aurelia Cristea, ex-ministre du Dialogue social, a rompu avec le PSD : "je ne peux être solidaire du groupe de factieux qui dirige actuellement ce parti".

En fait, les Roumains, hors minorité hongroise (mais elle est divisée), s'inquiètent aussi des dérives des gouvernements voisins, de Hongrie et de Bulgarie, et Moldavie roumanophone, qui s'éloignent de l'UE pour se rapprocher de la Russie. Le gouvernement PSD a obtenu un sursis, mais il est précaire. Économiquement, la Roumanie se porte beaucoup mieux, mais elle ne peut s'aliéner sa jeunesse et ses forces vives de plus en plus tentées par l'exil... Moins sans doute vers une France où la corruption resterait impunie, mais en particulier vers l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, ou le Canada, estimés plus conformes à leurs aspirations.