Restons, sinon objectifs, du moins sérieux : ce n'est pas que la propagande du Kremlin qui a convaincu une très large majorité de l'opinion moyen-orientale, puis complotiste mondiale, de la réalité d'une création du califat de Daesh par les États-Unis. Il s'agit, à la source, difficile à retracer, d'une déduction "logique". Puisque les États-Unis, pour contrer l'influence soviétique en Afghanistan, ont soutenu des islamistes contre les troupes loyalistes et russes, le même scénario fut appliqué au Moyen-Orient. Ce par le biais de financements du Quatar et de l'Arabie à al-Qaida, puis à sa branche dissidente, Daesh.

Comme divers sites, groupes et officines, voire partis occidentaux et autres pro-Poutine, alimentent cette thèse, depuis, la propagande russe ne va surtout pas se les mettre à dos. Et voici que The New York Times publie une tribune de Thomas L. Friedman, "Pourquoi donc Trump combat-il Daesh en Syrie ?". Friedman a tout pour plaire à Russia Today ou Sputnik News : né dans une famille israélite, correspondant à Jérusalem puis près le Département d'État, apôtre d'une "mondialisation heureuse", il s'est prononcé pour les interventions au Kosovo et en Irak.

Simplifications cyniques

Haro donc sur Friedman. Il y a de quoi pomper tout ce qui alimentera des exagérations genre "en dépit des apparences, Donald Trump favorise et finance l'islamisme radical" (ie seul Poutine et des partis occidentaux pro-Kremlin s'opposeraient efficacement à Daesh).

Dans le même style, on a eu, voici quelques semaines, le complot de George Soros, Clinton et Obama Inc., pour évincer Benoît XVI et élire le pape François. Justement, en dépit des apparences – très cyniquement, admettons-le – Friedman développe deux axes. D'une, plus vite le califat sera mis hors-sol, privé de base arrière en Syrie, plus les attentats s'intensifieront.

Pourquoi donc ne pas retarder cette perspective (et renforcer la lutte contre la prolifération de la propagande de Daesh et son implantation hors de Syrie) ? De deux, pourquoi, alors que l'intérêt étasunien est de débarrasser l'Iraq de Daesh, faire de même "gratuitement", sans contrepartie, en Syrie ? Puisque le califat de Daesh reste l'épine dans le pied de Bachar al-Assad, de la Russie, de l'Iran et du Hezbollah, que les États-Unis le laissent leur pourrir la vie ou qu'ils négocient des contreparties.

Et question propagande, que Trump ne cesse de marteler que Russie, Iran et Hezbollah encouragent Assad à faire usage d'armes chimiques. Un peu simpliste. En face, même réponse : clair, Trump joue double-jeu et va réarmer Daesh. La réalité est comme toujours plus complexe. En fait, Vladimir Poutine n'a guère le choix : il s'allie en Russie les musulmans compatibles, et laisse, en périphérie, se développer l'islamisme radical, l'emprise de la charia, &c. Par exemple, en Tchétchénie où un dictateur chef de clan impose l'enseignement obligatoire du sunnisme radical pour conserver son pouvoir, et c'est quasi identique au Kazakhstan et en d'autres républiques ex-soviétiques alignées sur le Kremlin.

Explication : si Moscou ne graisse pas la patte d'une oligarchie clanique sanguinaire, la guerre reprend en Tchétchénie et enflamme tout le Caucase. Mais la propagande, de part et d'autre, c'est toujours tout blanc d'un côté et noir de l'autre. La légère différence est qu'un Friedman peut s'exprimer largement, et qu'exposer que Vladimir Poutine doit aussi composer cyniquement devient crime de lèse-majesté. Le petit ennui, c'est que la guerre des mots peut en entraîner une autre. En fait, la survie de Daesh en Syrie avantage aussi le régime : tant que Daesh affronte les Kurdes et al-Qaida, le califat reste utile. Quitte à subir des attentats dans le métro de Saint-Pétersbourg ou celui d'un camion-bélier à Stockholm ?

Avec des si et des points d'interrogation, on finit par tout "démontrer" et inculquer des certitudes. Puis des convictions inverses, au gré des besoins ou menées du moment. On a vu Russia Today et Sputnik News faire grand cas de François Fillon, puis, avec l'évolution des sondages, le lâcher pour mettre en avant Marine Le Pen. Il paraîtrait que son score s'effrite et celui de Fillon remonte... Attendez-vous à constater un revirement. En matière de Réinformation et désinformation, le classique thèse-antithèse-synthèse ne fonctionne plus. Tout l'un, ou tout l'autre. Mais parfois, la solution s'impose : pour le site Reinformation (.tv), la solution est là. Il faut "consacrer la Russie au Cœur immaculé de Marie, selon la demande de Notre-Dame de Fatima" pour qu'elle cesse de répandre ses mensonges et "sauver l'église catholique du relativisme qui la ronge". Et contrer l'influence de Soros, Obama et Clinton au Vatican ? Comme c'est simple... et automatique.