Certains diront qu’il ne s’agit pas d’une surprise car tout était prévisible. D’autres y verront une défiance à l’égard du pouvoir en place à Abidjan avec lequel, il n’est pas, semble-t-il, en odeur de sainteté. Quoi qu’il en soit, ce qui se murmurait sur la Toile comme dans les rues abidjanaises est devenu une réalité : l’enfant terrible de la politique ivoirienne vient d’annoncer sa candidature pour la présidentielle prochaine en Côte d’ivoire. Lui, c’est Guillaume Kigbafori Guillaume.

L’actualité ivoirienne nous abreuvait pourtant d’une série de malencontreux événements le concernant durant ces dernières semaines.

Tout d’abord, on l’a dit hors du pays pour des raisons inexpliquées, et sans que sa destination exacte ne soit précisée. Et, pour un député, c’est-à-dire un élu de la représentation nationale, une telle imprécision n’était pas réglementaire, elle n’était pas de nature à rassurer le peuple. Et puis, le peuple souverain a fini par être informé par la Presse que son élu était tantôt en Belgique, tantôt en France. Ensuite, on a appris au dernier moment qu’il venait d’être déclaré persona non gratta aux États-Unis où, l’administration Trump le considérait désormais comme un terroriste. Sale temps, tout ça ! Enfin, au dernier moment, c’est en Espagne qu’il aurait été aperçu, en train de lancer un mouvement de soutien à sa candidature pour la présidentielle de 2020.

Quelques sceptiques y voyaient une plaisanterie de mauvais goût.

Et finalement, grosse frayeur ! Le député Ivoirien aurait été victime d’une tentative d’arrestation en territoire espagnol, laquelle aurait échoué d’après la presse ivoirienne. Cette nouvelle de mauvaise augure a soulevé des interrogations dans le pays du Cacao et du Café : qui aurait voulu l’arrêter ?

Et pour quels motifs ? Aucune réponse à ces deux questions, si ce n’est que sur les bords de la Lagune Ebrié, l’on se perdait en conjectures jusqu’à ce vendredi 18 octobre 2019, dans la soirée, à 20h15, heure française, où, il est apparu sur le plateau de France 24, pour répondre à une interview. C’est peut-être l’occasion pour nous, de découvrir l’homme, ainsi que la date qu’il a choisie pour faire cette annonce désormais historique.

Qui est Guillaume Kigbafori SORO ?

L’homme a 47 ans, ainsi qu’il vient lui-même de le dire sur France 24. La Côte d’ivoire l’a découvert dans le mouvement des étudiants dénommé la FESCI (Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’ivoire). Mais, l’ascension véritable de Guillaume Soro prend source en 2002, lors du déclenchement de la rébellion armée qui a débouché sur une longue crise militaro-civile et politique. Au départ, cette rébellion ivoirienne de 2002 était composée de plusieurs milices dont la principale était le MPCI (Mouvement Patriotique de Côte d’ivoire). Très tôt, Guillaume K. Soro devient la figure de proue du MPCI et est désigné porte-parole de cette milice. Sa grande éloquence, et surtout sa grande maîtrise de la langue française feront que le jeune homme se fasse très rapidement remarquer par les instances internationales.

A ce sujet, l’homme politique français Dominique de Villepin dira de Guillaume Soro qu’il est « un vrai homme d’État ». Ses grands talents d’orateur aidant, et surtout en grand stratège, Guillaume Soro gravira très vite les échelons du pouvoir dans une Côte d’ivoire en pleine crise, mais aussi dans une Côte d’ivoire post-crise.

Ce qui a aidé à son ascension rapide dans les arcanes du pouvoir ivoirien, c’est que toutes les milices de la rébellion armée ont été fusionnées pour devenir « Les Forces Nouvelles »au sommet de Marcoussis en 2003. C’est ainsi qu’il devint le Secrétaire Général des Forces Nouvelles. De ce fait, le gouvernement de réconciliation nationale qui a été formé à la suite du sommet de Marcoussis intégrera les membres de la rébellion dont le tribun Guillaume Kigbafori Soro.

Le jeune homme d’à peine 31 ans se voit alors bombarder du portefeuille de Ministre de la Communication sous le président Laurent Gbagbo au sein du Gouvernement de la réconciliation nationale. L’ascension ne faisait que commencer. Guillaume Kigbafori Soro deviendra par la suite, Ministre d’État, de la Reconstruction et de la Réinsertion dans le gouvernement de Charles Konan Banny. En sa qualité de Secrétaire Général des Forces Nouvelles, c’est tout naturellement que le poste de Premier Ministre confié aux Forces Nouvelles lui échoit aisément. Ainsi, il devient Premier Ministre de Laurent Gbagbo en période de crise, mais aussi Premier Ministre d’Alassane Ouattara après la crise post-électorale.

Survinrent les Législatives sous le premier mandat d’Alassane Ouattara où, l’ancien Secrétaire Général des Étudiants et élèves de Côte d’ivoire est élu Député, pour devenir Président de l’Assemblée Nationale en 2012. Ce soir du 18 octobre 2019, il vient de donner sa candidature à la présidentielle de 2020 . Mais pourquoi cette date ?

Le 18 octobre, date de la naissance de Félix Houphouët-Boigny

Ce vendredi 18 octobre 2019, c’est sur la chaîne de télévision française France 24 que l’information a été donnée par l’intéressé lui-même : « je suis candidat ». La date choisie pour faire cette annonce grave de sens n’est pas anodine. La chaîne de télévision choisie pour l’occasion n’est pas non plus un fait du hasard.

S’agissant de la date du 18 Octobre, elle est celle de la naissance du Président Houphouët-Boigny. Quant à la Chaîne de télé qui a diffusé l’interview historique de Guillaume Soro, il s’agit de France 24, la chaîne de télévision française que l’on écoute à l’échelle planétaire. Autant de symboles qui permettent de lire les intentions d’un jeune homme que plusieurs Ivoiriens ont vu grandir sans savoir qu’il jouerait des rôles aussi importants dans leur pays. Grâce à ces symboles (la date du 18 Octobre et la chaîne de Télé France 24), on imagine bien que Guillaume Kigbafori Soro est sérieux dans sa démarche, et qu’il est sûr même de remporter la présidentielle. La preuve en est qu’il a donné l’exemple du président Emmanuel Macron dont la classe politique française a méprisé les chances de succès lors de la dernière présidentielle.

En donnant l’exemple du président Emmanuel Macron, l’enfant prodige de la politique ivoirienne a oublié que ce dernier n’était pas sujet à des récriminations comme lui Guillaume Soro ; et c’est qu’ont bien rappelé les journalistes qui l’interviewaient.

En effet, des questions subsistent. Et les journalistes qui l’interviewaient ont bien su les relever. Par exemple, Guillaume Soro est-il sûr que les différentes factions au sein de la rébellion dont certaines ont perdu leurs leaders lui accorderont leur soutien ? Dit autrement, les partisans d’Ibrahim Coulibaly alias « Major » voteront-ils de bon cœur pour le candidat Guillaume Soro ? Et qu’en est-il des pays voisins comme par exemple le Burkina Faso qui, depuis qu’il a intercepté une conversation téléphonique entre Guillaume Soro et des citoyens Burkinabè - incitant à la sédition dans le pays -, le soupçonne de s’immiscer dans sa politique intérieure pour y fomenter des coups bas ?

Autre question que n’ont pas posé les journalistes mais qui mérite d’être posée : Guillaume Soro pense-t-il convaincre tous les mécontents de Côte d’ivoire qui lui reprochent sa participation à la rébellion armée qui a endeuillé le pays ?

Devant toute ces questions, l’enfant prodige de la politique ivoirienne dit qu’il ne se reproche rien car certains faits l’auraient déjà disculpé. D’ailleurs, il prétend que son mouvement de soutien compte déjà 700 000 adhérents. Alors, la présidence de la République de Côte d’ivoire, une autre corde à l’arc suffisamment chargé de Guillaume Kigbafori Soro ? L’égérie de la rébellion, père de la nation ? Et pourquoi pas ?