Avec la crise sanitaire, le secteur du tourisme s’est effondré. Le confinement et les différentes mesures mises en place par le gouvernement ont contraint de nombreux établissements à fermer leurs portes. Brasseries, restaurants de quartiers ou gastronomiques, presque aucun professionnel du secteur n’a été épargné. Toutefois, certains se sont motivés pour se réinventer et même, ouvrir un nouvel établissement. À Strasbourg, c'est le challenge que s’est lancé Carole Eckert, l’ancienne patronne du "Comptoir à manger".
Alors qu’elle avait levé le rideau sur l’aventure de son micro-restau branché, extrêmement apprécié des fins gourmets tout juste avant le début de la crise sanitaire, la jeune alsacienne revient en force avec un nouveau projet plein d’espoir.
Direction Barr pour celle qui avait réussi à entrer au Gault & Millau avec son associée de l’époque, Bérangère Pellisard. Dans ce lieu très prisé des épicuriens de la région, la recette du 100 % local qui privilégie la qualité à la quantité (seulement 20 couverts) était devenu un lieu hors du temps et incontournable du célèbre quartier historique de la Petite France. Pour évoquer cette année particulière, ses projets qui foisonnent entre Covid et projections vers l’avenir, Carole Eckert a accepté de répondre à nos questions :
Votre premier établissement, le Comptoir à Manger a fermé ses portes début 2020, tout juste avant la crise sanitaire. Pouvez-vous revenir sur votre expérience, et les raisons de ce clap de fin après trois belles années ?
L’aventure "Comptoir à manger" a duré trois ans. L’idée était d’ouvrir un petit restaurant, d’y servir une cuisine locavore, avec des vins vivants et un menu unique. Nous ne nous attendions pas à un tel succès, ni d’être repérées nationalement. Tout est allé très vite, et trop vite pour nous. En novembre 2017, sept mois après l’ouverture, on nous a decerné des prix Fooding et Gault et Millau, donc des centaines d’appels et mails arrivaient par jour.
La place a vite manqué, mais grandir en ville ne nous paraissait pas cohérent avec nos valeurs. J’ai donc commencé à chercher un lieu plus vert, sur la route des vins, en octobre 2018. Ma deuxième visite fut la bonne, mais le temps de réflexion et de construction du projet a été assez long.
Nous avons, par chance, fermé le "Comptoir à Manger" en janvier 2020.
La suite vous la connaissez : la Covid est arrivée dans nos vies. Le projet a évidemment pris du retard, et durant cette période, mon associée Bérengère Pellissard a décidé de quitter le projet. J’ai donc fait le choix de continuer seule.
Vous aviez promis à vos clients fidèles de revenir au courant de l’année 2021 pour “une nouvelle aventure culinaire”. Ça y est nous y sommes, vous avez tenu votre promesse et l’on devrait donc vous retrouver prochainement toujours dans le Bas-Rhin, mais à Barr ?
Barr est effectivement la ville où j’ai posé mes valises. J’espère pouvoir tenir ma promesse d’une ouverture prochaine, nous serons prêts, tout va dépendre de la situation sanitaire… Grâce à la crise Covid, j'ai appris à prendre mon temps, j’ouvrirais donc quand les conditions seront réunies pour une inauguration sans stress.
J'espère courant juin, croisons les doigts...
Comment est-ce-qu’on sort la tête de l’eau quand tout le secteur est paralysé par une crise sans précédent comme celle que nous avons vécu en 2020 ?
C’est une question compliquée pour moi car j’ai presque l’impression d’avoir bénéficié positivement de cette crise. Je n’ai pas d’activité en cours, pas encore de salariés. J’ai pu prendre le temps de penser le projet sans Bérengère, de repenser des modèles qui sont ancrés dans ce métier, de prendre du recul sur mon expérience précédente, j’ai aussi pu penser à quoi ressemble ma vie sans travail. En effet, j’ai toujours trop travaillé par le passé et j’ai apprécié cette pause certes, mais forcée, et ça m'a permis d'avoir des loisirs, voir mes amis, ma famille… Alors disons que je ne me suis pas focalisée sur le négatif, sur les questions financières dues au retard que la crise Covid a engendré sur mon projet.
Je me suis focalisée sur moi, et sur ce que cet évènement a apporté de positif dans ma vie.
Selon vous, le gouvernement en a-t-il assez fait pour préserver le secteur de l’hôtellerie restauration pendant cette crise ?
Je pense que oui. Nous avons été le pays le plus aidé financièrement. De plus, il est toujours simple de juger de l’extérieur, de se dire qu’on aurait dû faire les choses de telle ou telle manière. De mon point de vue, l'accompagnement financier a été très bon.
Comment avez-vous trouvé la motivation pour poursuivre ce projet d’ouverture ?
La plus grosse épreuve pour moi a été le départ de Bérengère, la cheffe. Nous avions construit ce projet ensemble. Donc à partir du moment où j’ai pris la décision de continuer ce projet seule, plus rien ne pouvait m'atteindre, la crise Covid était alors presque devenue "une formalité à passer" (rires).
En réalité, je suis littéralement tombée amoureuse du lieu, et je suis tellement fière de pouvoir faire vivre ce projet. D'ailleurs, c’est ce qui m’anime dans ce métier : créer des lieux, les faire vivre, aller à la rencontre des producteurs, faire un recrutement en accord avec mes valeurs. Le projet est finalement pour moi une perspective de sortie de crise, il verra le jour quand la situation sanitaire le permettra. C’est donc cela qui a gardé ma motivation intacte, de me dire que tout ira à nouveau mieux un jour et de rester toujours optimiste.
Vous changez de nom, vous passez du “Comptoir à manger” à “Enfin”, est-ce-que vous changez de cuisine, d’identité ? Pouvez-vous nous en dire plus sur ce nouvel établissement culinaire ?
Effectivement une page se tourne, une autre s’ouvre, il me paraissait important de changer de nom. L’identité restera la même : une cuisine locavore au maximum, mais cette fois-ci agrémentée parfois de produits français. Pendant la crise Covid, j’ai eu le temps de penser à cette question de locavorisme. Au "Comptoir à manger", nous étions sur une cuisine 100% locavore, mais pour ce projet, l’envie est de s’ouvrir vers d’autres produits. Toutefois, par exemple, je ne trouve pas logique de servir des poissons de mer ici, cette salinité n’est pas symbolique de nos terroirs. En revanche, utiliser des agrumes dans leur pleine saison pour sublimer nos magnifiques produits, ça, nous nous y autorisons !
Cependant, nous resterons sur des produits français uniquement, pas d’importations étrangères, à part pour le café et le thé en fin de repas. Et le thème du menu unique reste en place, j’aime cette façon de raconter la saison comme on raconterait une histoire.
L’autre point qui restera le même est que je garde l’idée d’un accueil très familial, même si ce projet est disons-le plus… spectaculaire que le précédent. J’aime quand la cuisine est pointue, mais le service détendu. De toute façon, je ne sais pas trop faire autrement (rires). Donc je dirais que l’identité reste la même, mais que “Enfin” est la grande sœur du "Comptoir à manger".
Nous serons une équipe de cinq, contre deux avant, nous aurons donc plus le temps d’aboutir nos idées, de se nourrir les uns des autres.
La capacité de couverts augmente également, nous pourrons accueillir jusqu’à 30 couverts, quand la situation sanitaire le permettra. Nous commencerons cependant plus en douceur entre 20-22 couverts pour l'instant.
Concernant le lieu, c’est une bâtisse en pierre qui accueillait la menuiserie Bossert jusque dans les années 1970. Vous verrez, c’est un lieu magique…
Quelles sont vos perspectives pour cette nouvelle année 2021 ?
Une ouverture j’espère ! Puis que le projet prenne forme, que l’imaginaire que j’ai nourri depuis de très long mois se concrétise, enfin ! Je crois que je n’ai pas d’autres prétentions... Avec la crise sanitaire, on ne peut plus rien planifier, on verra donc comment les choses évoluent et l’on s’adaptera quand il le faudra. J’espère juste que ce projet sera reçu comme je l’espère, avec tout le succès qui lui incombe.