Dans Les Héritiers puis La Reproduction, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron tentent dedémontrer que le système scolaire aboutit à légitimer le fait que la positionsociale est un héritage légué par les parents.
En ce sens,l’Ecole de Commerce est souvent vue comme l’exemple idoine de ce processus dansla mesure où la grande majorité des étudiants d’Ecole de Commerce ont desparents cadres : les enfants de cadres, en intégrant les Ecoles deCommerce, reçoivent alors pleinement cette position sociale en héritagepuisqu’ils deviendront eux aussi cadres, « futures élites de lanation » comme on les appelle en classes préparatoires.
Et pourtant,les Ecoles de Commerce mettent en avant l’esprit d’initiative qu’ellesinculqueraient à leurs étudiants ainsi que leurs enseignements qui sont censéspermettre aux étudiants de devenir les futurs acteurs du changement. Dans cetteoptique, l’Ecole de Commerce se présente comme cette entité capable de donnerles clés aux futurs cadres pour comprendre un monde changeant et ainsi leurpermettre de faire évoluer les choses et les manières de penser.
Loin ducliché des étudiants débauchés, arrogants, je-m’en-foutistes et uniquementintéressés par les intérêts mercantiles sans se soucier de l’éthique comme lesdécrit Kim Chapiron dans La Crème de lacrème, je souhaite simplement donner mon avis d’étudiant en Ecole deCommerce sur la prétendue capacité des Ecoles de Commerce à former des acteursdu changement.
Lesétudiant en Ecole de Commerce futurs acteurs du changement : un leurre
Faisantmienne la distinction entre l’être objectif et l’être subjectif mise en avantpar Emmanuel Todd dans Qui estCharlie ?, il me semble pertinent de l’appliquer aux Ecoles deCommerce. Subjectivement elles forment des personnes capable de changer le mondeet les modèles préétablis. En d’autres termes, elles affirment être ceci.Subjectivement néanmoins, c’est-à-dire ce qu’elles sont réellement, ellesconcourent grandement à ne pas changer d’un iota les modèles et les cadres déjàétablis.
En effet,loin de pousser leurs étudiants à la réflexion, les Ecoles de Commerce se contententsimplement de les exercer à la pratique très pragmatiques des différentsdomaines du management et de la gestion.
Comptabilité, Marketing, Management,Logistique, autant de matières étudiées en Ecole de Commerce sous le seul anglede la méthode et du par cœur sans jamais mettre en perspective cesconnaissances pour les transformer en savoir c’est-à-dire effectuer uneréflexion sur ces notions.
C’estpourquoi, loin du cliché de l’étudiant simplement heureux de participer à dessoirées alcoolisées, nombre de personnes présentes en Ecole de Commerceressentent un certain spleen et regrettent quelque peu le temps de la prépa oùla réflexion prenait alors le pas sur la simple ingurgitation de connaissancesinintéressantes.
Alors oui, onme rétorquera que la vie associative permet aux étudiants d’Ecoles de Commercede faire preuve d’initiative et que la vie en Ecole de Commerce permet aussi dese sociabiliser.
Mais est-ce pour autant ça qui fait qu’une personne vaapprendre à penser en dehors du cadre ? Il ne me semble pas.
Les seulschangements de paradigme qui peuvent être suscités par les études en Ecoles de Commerce sont ceux qui visent à adapter lemodèle au monde qui change. En ce sens, il s’agit alors de tout changer pourque rien ne change ou comme l’a plus élégamment écrit le marquis de Lampedusadans Le Guépard : « Pour que tout cela reste, il faut que toutchange ».
Finalement,l’Ecole de Commerce contribue à créer des personnes quasiment formatées etpleinement intégrées dans le moule préétabli et qui permettront de faire perdurerle modèle qui existe déjà.
Ceformatage des étudiants, un processus voulu ?
Il s’agitdésormais de se demander si cette absence de réflexion qui aboutit à une formede formatage des étudiants afin de les faire entrer dans le moule est fortuiteou bien si c’est le fruit d’une politique volontariste de la part des Ecoles deCommerce.
En somme, il s’agit d’essayer de savoir si les Ecoles de Commerce nesont pas objectivement des actrices de l’immobilisme et de l’immuabilité desmodèles et cadres déjà établis.
Autant vousprévenir tout de suite, je n’ai pas la réponse à cette question. En étantsimple étudiant je n’ai, en effet, pas accès aux arcanes de ces institutions.Toutefois, il ne me semble pas insensé de penser que la formation d’individusformatés et peu à même de « casser le schéma », comme dirait KenyArkana, n’est pas le fruit du hasard mais d’une politique mûrement réfléchie.
Il est, eneffet, prouvé que les personnes les plus à même de modifier un système sontceux qui se trouvent au cœur de celui-ci. Aussi parvenir à rendre formatés etfavorable au cadre préétabli les futurs décideurs est-il le moyen le plus sûrde rendre pérenne le système et les modèles déjà présents.
Le modèle ne peutainsi pas s’écrouler de l’intérieur et, même plus, ne peut pas être fragilisé.Il est donc très compliquer de le faire chanceler dans la mesure où, sanssynergie des personnes intérieures au modèle, il est quasiment impossible pourles personnes extérieures de faire bouger les lignes et de faire évoluer lecadre existant.
PS :cet article ne vise pas une Ecole en particulier mais bien le système globaldes Ecoles de Commerce.