C'est donc un juppéiste de 44 ans, conseiller municipal de Cherbourg, ex-collaborateur de divers ministères, qui représentera La République en marche dans la quatrième circ. de la Manche. Il fut le collaborateur d'Hervé Gaymard et de Jean-Pierre Raffarin, puis intégra les relations publiques de 'Canal+' et de la Sacem. Pas vraiment le profil d'un employé ayant gravi les échelons et obtenu ses diplômes en alternant les petits boulots. Qui avait-il pour concurrents ? Sonia Krimi, docteure en communication et sciences de gestion, enseignante puis consultante, qui avait été auparavant investie par le comité local.
Elle maintient sa candidature et affrontera donc le candidat officiel, Blaise Mistler. Sonia Krimi avait été préférée à Frédéric Bastian, médecin urgentiste, passé par la direction de SOS Médecins et qui s'était présenté en tant que candidat PS aux cantonales. C'est aussi un adjoint (apparenté PS) du maire de Cherbourg-en-Cotentin.
Je ne vais pas aller chercher l'exception ou les exceptions qui confirment la règle, ni m'offusquer que tant de surdiplômés composent la future majorité, qu'elle soit nette ou composite (le Premier ministre devant faire la pêche aux voix en d'autres groupes). Énormément de gens issus des classes populaires sont parvenus à pousser assez loin leurs études, passant de chômage à petits boulots, et finissant déclassés.
Cela se vérifie aussi côtés EELV ou France insoumise, alors que LR et le PS font plutôt grimper d'ex-assistants parlementaires, plutôt bien nés. Avec des exceptions notables, comme Gérard Filoche, fils de cheminot et d'aide-soignante, ex-inspecteur du travail de terrain, (qui restera sans doute au PS s'il ne rejoint pas Mélenchon).
Filoche devint inspecteur après avoir été simple contrôleur et surtout multiplié les emplois divers au bas de l'échelle. Le "despotisme entrepreneurial" et le népotisme dans la fonction publique, il a connu… Je doute très fort qu'un tel profil se retrouve sur les bancs de LREM à l'Assemblée.
Renouvellement ?
Je ne m'offusque pas non plus que Jean-Louis Bourlanges et Marielle de Sarnez, qui ont siégé quatre mandatures au Parlement européen se retrouvent investis.
L'ex-En Marche ! refusait les candidats ayant effectué trois mandats. La nouvelle République en marche fait donc entorse à la règle d'origine pour deux proches de François Bayrou (et peut-être d'autres). Une certaine dose d'endogamie de la gent politique est sans doute nécessaire, voire indispensable, à toute formation à vocation gouvernementale. Mais une telle cohésion sociale apparente LREM à une engeance (au sens ancien) d'excellences issues de moules trop voisins, voire "consanguins". Les temps sont loin où les fils et filles de patrons passaient partie de leurs vacances à la chaîne ou aux champs… Chez les garçons, dès les années 1970, hormis quelques fils de militaires, parfois hauts gradés, pour les appelés restant dans le rang et non planqués (cas de Sarkozy, Fillon), ou exemptés (Ciotti), qu'ils puissent ou non accéder au peloton, l'expérience de la mixité sociale s'est fortement étiolée.
Les plus diplômés pouvaient aussi accéder à la coopération, mais les postes en ambassades ou utiles à la poursuite d'une carrière étaient déjà dévolus aux bien nés, les autres se frottant aux populations étrangères, enseignant, construisant des puits, soignant des malades. Il reste une trentaine de circonscriptions à pourvoir, dévolues à l'Outre-Mer. On doute très fort de voir apparaître un profil à la Taubira, elle aussi surdiplômée, mais fille d'une aide-soignante et d'un petit épicier.
Bref, en dépit de 2% de candidats catalogués "en recherche d'emploi", LREM compotera surtout de quasi-copies conformes. Je souhaite bien sûr, au nom d'une vieille (désormais distante) amitié, que Bruno Kern, avocat, ex-PS, soit élu à Belfort.
Mais à part quelques enseignantes du secondaire, nouvelles en politiques, trop de "Kern" (au moins a-t-il plaidé des causes de gens du peuple) et assimilables, trop peu de "Filoche". Bonne chance pour faire régresser l'électorat du Front national à ces candidates et candidats "issus de l'ensemble du spectre politique républicain", comme Richard Ferrand les définit. Dans le 90, le FN a devancé EM de six points au premier tour (un peu partout, sauf à Belfort-ville ; mais au second tour, Marine Le Pen y a fait près de 37%). Pour le spectre social, il faudra sans doute ailleurs chercher la diversité. Il sera sans doute facile de "dépasser les clivages" dans l'hémicycle. Dans le pays, la marche sera lente et la pente forte.
D'autant que, si elle est socialement cohérente, on ne sait trop si La République en marche restera durablement cohérente politiquement. Le "centre", en France, est toujours fragile, et plus il s'éloigne des bords, France insoumise et Front national, plus ces derniers tendent à se renforcer.