L’individu seul compte. « Moi je pense que, mon opinion est que, il n’y a pas de vérité, chacun pense ce qu’il veut ». Cet individualisme forcené qui refuse les règles et les codes et veut tout réinventer, nous laisse ainsi orphelins de grands orateurs. C’est que l’ART ORATOIRE obéit précisément à des règles, demande une méthode, une technique. C’est un Art, qui s’apprend et s’enseigne, comme autrefois.

En 1908, Jules Ferry décide de supprimer l’apprentissage de la rhétorique au baccalauréat et plus tard de tout l’enseignement français. Les élites d’alors ont peur des tribuns, car les tribuns ont le pouvoir d’emporter le peule et aussi de ne pas se laisser manipuler par des mots trompeurs. C’est probablement parce que nous avons perdu l’enseignement de ce grand art qui en est la clef que nous n’avons plus de grands orateurs. Mais un bon orateur, c’est quoi ?

Les qualités d’un bon orateur

Est bon orateur celui qui selon les règles classiques, largement éprouvées et démontrées, répond aux exigences de nous offrir 3 qualités.

Ces qualités ont été posées il y a bien longtemps par les maîtres de la rhétorique. Que sont donc ces trois qualités ? Il s’agit du logos, de l’ethos et du pathos. Derrière ces mots barbares se cachent des réalités tangibles.

Le logos : Il s’agit des arguments logiques. De notre capacité à prouver, de notre aptitude à démontrer. Il faut ordonner ses arguments lorsque l’on veut démontrer quelque chose. Le mieux est de varier les arguments :

  • un argument d'autorité : « Le Général De Gaulle a dit », puis
  • un argument chiffré, « nous avons 3 millions de chômeurs » et enfin
  • un argument affectif. « il n’est pas humain dans un pays riche de laisser des hommes dormir dehors en plein hiver ».

Enfin,

  • un argument historique : « Les lois d’exception ont toujours précédés les dictatures »

Utiliser la preuve par l'exemple et/ou le passé, exemple : « Tous les pays multiculturels sont des pays multi conflictuels » ou « Les journalistes ont toujours été les premières cibles des régimes dictatoriaux ».

C’est peut être la partie la plus faible chez les orateurs car elle demande de connaitre ses dossiers, d’avoir un minimum de culture, d’avoir de la mémoire pour retrouver rapidement son argument. Néanmoins c’est un aspect essentiel et l’orateur doit posséder cette première qualité s’il veut réussir.

Venons-en à la seconde qualité de l’orateur qui est l’éthos. Nous pourrions aujourd’hui dire, l’éthique. Cette qualité est indispensable à tout orateur qui veut réussir et impacter son public. Pour impacter il faut que l’autre ait confiance. Une bonne réputation, un bilan satisfaisant, des actions passées positives, une honnêteté certaine influenceront largement le pouvoir et le crédit qu’un orateur pourra recueillir.

Tel homme politique, excellent orateur qui remuait les foules hier, n’imprime plus.

Mais que se passe-t-il ? Il sait pourtant toujours manier le verbe comme personne, il a le sens de la formule, du slogan, sa voix est chaude, sa présence incontestable, et pourtant, ça tombe à plat ? Mais pourquoi donc ?

C’est assez simple. Son bilan, son passé, ses mauvais résultats ont mangé tout son crédit. Et puis cette affaire, tombée récemment avec un emploi de complaisance donné à son fils. Il peut faire de bons mots, c’est pure rhétorique, on sait ce que vaut son action, pas grand-chose, alors on ne l’écoute plus, car les ficelles apparaissent, ces ficelles s’appellent rhétorique, savoir faire, blabla. L’emballage était beau mais ça ne suffit plus. Il faut du fond.

Le bon orateur devient beau parleur.

La confiance est liée à l’honnêteté de l’orateur. Si vous n’avez pas confiance en un délégué syndical par exemple, parce que vous pensez qu’il est malhonnête, vous n’allez pas l’écouter, même s’il parle bien. L’honnêteté de l’orateur est la plus efficace des preuves.

Enfin vient le pathos : Le pathos est l’ensemble des sentiments et passions sur lesquels l’orateur va jouer. Lorsqu’un clochard vous demande de l’argent dans la rue, il joue sur votre pathos. Il ne vous dit pas : "Donnez-moi 50 centimes car vu vos beaux vêtements cela ne doit pas être grand-chose pour vous". Il vous dit « J’ai 2 enfants qui grelottent, je n’ai pas mangé depuis hier ». Il a joué du pathos, il a fait vibrer la corde de l’émotion. Des passions, du drame. Cela fonctionne car l’homme a besoin d’émotions, d’émotions fortes.

Un politicien qui veut toucher va tenter d’émouvoir, il sait que s’il annonce des chiffres froids, son discours risque de tomber à plat. Plutôt que de parler des mauvais chiffres du chômage, il va détailler la situation terrifiante des demandeurs d’emploi, l’égoïsme du grand capital, le scandale des délocalisations.

La sincérité ici n’est pas remise en cause. Elle doit même être totale si possible, le politicien efficace sera celui qui pensera parfaitement ce qu’il dit, il connait aussi la réalité des chiffres mais il a joué sur le registre émotionnel. Cela marche car nous avons besoins d’émotions fortes, pas de caissiers froids.

Louis Ferdinand Céline nous dit que le public aime le drame, il veut du cru, du sang, du sentiment, il veut être remué, bouleversé, il veut que l’auteur ose, franchement, ce que lui n’ose pas.

C'est vrai mais il ne s'agit là que d'un aspect de l'art oratoire, du pathos, et ce dernier seul ne saurait suffire, sans quoi nous tombons dans la grandiloquence qui n'est que la grimace de l'éloquence.

Ethos, logos et pathos ou les trois mousquetaires de l’art oratoire

Aussi, même si nous sommes des modernes, même si nous souhaitons vivre avec notre temps, si nous souhaitons être de bons orateurs, n’oublions pas que l’art oratoire est un art et qu’à ce titre, il s’apprend. Bien que ces trois qualités sont l’armature et le squelette de l’art oratoire, elles ne sauraient constituer tout l’arsenal du bon orateur qui est vaste et varié : Le corps, la posture, le regard, les silences, la voix, la respiration, la mémoire, le choix des mots, la diction, le trac….

C’est dire à quel point cet art merveilleux est vaste et profond et c’est probablement la raison pour laquelle nous sommes si respectueux de ce talent rare qui ne doit sa force et sa foudre qu’à l’humble respect de règles jugées dépassées.