La semaine qui vient de s'écouler restera de triste mémoire en France et pour cause, un débat malsain qui ne méritait pas de se tenir, a pourtant eu lieu. Débat malsain parce qu'il est venu troubler le repos éternel de Feue Simone Veil, une autre figure française de la lutte pour les droits des femmes. Tout un parti de la divulgation d'un SMS d'annonce nécrologique attribué à Sibeth Ndiaye, autre figure française de la diversité. On sait par expérience que, l'évocation concomitante de deux grands figures finit toujours par déboucher sur des conflits de compétences.
Est-ce pour cela que les esprits se sont échauffés et qu'ils continuent encore de s'échauffer sur les réseaux sociaux ? La question reste pendante. Pour l'instant, essayons de comprendre ce qui s'est passé en analysant le SMS litigieux.
La mort, de par son caractère grave et tragique s'annonce en des termes appropriés
La mort qui marque la fin d'une vie humaine est toujours vécue comme une tragédie. Aussi bien pour les proches parents que pour les amis et connaissances, la mort est une épreuve difficile à surmonter et donc, en cette occasion, les mots sont pesés, le discours mesuré et affiné. Le but d'une telle prudence sémantique est d'accompagner les attristés et les affligés dans le deuil, en leur témoignant de la compassion.
Ce comportement attentif s'impose à tout le monde car la mort n’épargne personne. Un proverbe Ôdjoukrou, au sud de la Côte d'ivoire l'exprime bien :
« la mort, c'est comme les marchandises dans les transports maritimes, elles arrivent à tous les ports qui fonctionnent, et il n'y a pas de port maritime en fonction qui ne reçoive pas de marchandises.
» Dit autrement, tout le monde est concerné par la mort car chacun sera frappé par le deuil d'un parent, d'un ami, d'une connaissance, un jour ou l'autre, et chaque être vivant finira par mourir un jour ou l'autre. Ainsi, la tristesse et le drame de la mort, chacun, tant qu'il vit, l'expérimentera. Ce moment de deuil étant des plus graves, il s'annonce aussi avec des mots graves, et jamais avec des mots légers.
C'est en cela que le SMS annonçant la mort de Feue Simone Veil et attribué à Sibeth Ndiaye a heurté la conscience collective : «Yes, la Meuf est dead.» Cette courte phrase choque le peuple pour trois raisons :
D'abord, cette phrase est trop légère et trop vulgaire pour une annonce nécrologique. Cette phrase ne respecte pas du tout le code sémantique qui régit le deuil. Autrement dit, cette phrase ne respecte pas le deuil des affligés, elle ne ménage pas les éplorés, elle n'est pas une phrase compatissante à l'égard des attristés. En cette phrase, la solidarité qui unit tout le monde dans la douleur n'est pas perceptible. En effet, ce qui saute au yeux dans cette phrase, c'est l'indifférence notoire de l'auteur.
Tout se passe comme si l'auteur ne s'associait pas à la douleur des éplorés. Ensuite, cette phrase a choqué plusieurs personnes parce qu'elle est donnée pour être prononcée par une personnalité de haut rang dans la République. Cette phrase vulgaire a été attribuée à la chargée de communication du Président de la République Française. Lorsqu'on occupe un tel poste, les usages ont démontré qu'en général, le discours que l'on tient, il est d'envergure, il est de calibre. Or, en l'espèce, le discours paraît si grossier qu'il s'assimile au banal. Or justement, la défunte n'était pas un personnage banal.
Enfin, ce qui a ému l'opinion, c'est la qualité, c'est le rang de la personne, objet de cette annonce nécrologique.
Il s'agissait de Simone Veil : la Bachelière déportée dans les camps nazi qui de par sa résistance est devenue une héroïne dans la mémoire collective. Il s'agissait de la Ministre de la République Française qui, de par son audace, sa témérité et sa pugnacité est parvenue à obtenir pour les femmes, le droit d''interrompre volontairement une grossesse. Il s'agissait de la mort de l'Académicienne…
«Yes, la meuf est dead » était une phrase méprisable. D'où, elle était intolérable à l'endroit d'une personnalité de la trempe de Feue Simone Veil, un symbole de la République. De ce fait, admettre ce type d'annonce nécrologique grotesque, grossier, vulgaire, banal et rabaissant au moment du décès de Simone Veil, serait absolument accepter de vider le symbole de sa substance.
C'est ce que l'opinion française n'a pas accepté de faire, et voilà pourquoi elle a protesté vigoureusement sur les réseaux sociaux. Finalement, l'auteure désignée du SMS litigieux, en l'occurrence Mme Sibeth Ndiaye a dit ne pas en être l'auteure. Et jusque-là, elle n'a jamais été contredite formellement. Le débat devait donc être clos. Mais non ! L'occasion était trop belle pour certains de faire l'économie de leurs aigreurs.
Des règlements de comptes dans tous les sens
Si ce SMS attribué à Sibeth Ndiaye n'avait jamais existé, il aurait fallu l'inventer ; car il a permis aux deux principales catégories sociopolitiques françaises se combattant de tout temps, de reprendre leurs éternelles invectives, leurs hostilités séculaires.
En effet, ce SMS jusque-là sans auteur officiel a été l'occasion pour les acteurs du repli identitaire de déverser leur bile, en criant haut, leur haine de la diversité. Mais, ce serait trop facile d'évoquer l'action des partisans de l'autarcie sans parler de leurs partenaires d'en face. En effet, en face de ces opposants à la diversité, profitant d'un SMS sans auteur pour crier leur amertume et leurs récriminations sans fondement, on a les habituels défenseurs des Minorités, en même temps tenants des discours victimaires qui crient à la chasse aux loups, à chaque fois qu'un citoyen venant de l'immigration est soupçonné de poser un acte sujet à caution. Et pour ces défenseurs des minorités et tenants des discours victimaires, ceux qui s'offusquent du contenu du SMS litigieux ne sont rien d'autres que des racistes criant leur haine à l'égard de cette diversité montante dans la société française que représente Sibeth Ndiaye.
Que le débat a été appauvri ! Avec l'entrée en scène des deux catégories sociopolitiques classiques !
En effet, on le sait bien, ces deux catégories sociopolitiques françaises, quand elles rentrent en scène, c'est pour charger le débat public d'interprétations pathétiques et subjectives qui en dévoient l'objet. Avec eux, le saut négatif est vite fait : on passe de l'objectivisme au subjectivisme. Du coup, et en l'espèce, le vrai problème posé par ce SMS condamnable à tous points de vue a été élagué. Drôle de danse macabre, autour de la dépouille d'une Reine !