Symbole de l'histoire de France contemporaine, Simone Veil s'est éteinte à l'âge de 89 ans à son domicile parisien, vendredi 30 juin. Elle était considérée comme une des personnalités les plus respectées et les plus appréciées de France, et incarne la Shoah, l'émancipation des femmes, et l'espoir européen.
Une rescapée des camps
La loi sur l'IVG porte son nom, faisant d'elle un emblème, une icône. Néanmoins, à la suite de la promulgation de cette loi, personne ne connaît son histoire. Jusqu'à ce jour-là, où la ministre de la Santé vient lancer la construction d'un hôpital en région parisienne.
Une équipe de télévision l'accompagne, rendant ses propos, et par là-même son histoire publique. La ministre explique : "Quand on pose la première pierre, avec une truelle, on glisse du ciment entre deux pierres." Le préfet, qui la regarde admiratif, commente alors "Mais vous maniez très bien la truelle." Un silence. "Je suis très douée." "Vous avez une certaine technique" "J'ai fait ça vous savez. J'ai fait ça en déportation. Ca a été mon métier." On commence à s'intéresser à elle, au delà de son statut de ministre. Son parcours, son histoire. Qui est cette femme, qui a donné son nom à la fameuse loi qui a tant fait parler ?
Simone Jacob est née le 13 juillet 1927 à Nice, au sein d'une famille juive non pratiquante, aisée et cultivée.
Son père est architecte, tandis que sa mère se consacre à l'éducation de ses enfants, regrettant des études de chimie que son époux a exigé qu'elle cesse après leur mariage. Les années passent. Le 4 octobre 1940, le statut des Juifs est promulgué par le gouvernement de Vichy, signant l'arrêt de la carrière du patriarche. Trois ans après, la famille est arrêtée par la Gestapo, et le 13 avril 1944, Simone, sa mère et sa soeur Madeleine, sont déportées à Auschwitz-Birkinau.
Là, un déporté lui conseille de dire qu'elle a 18 ans, afin d'éviter les chambres à gaz. Le lendemain, le matricule 78651 est tatoué sur son bras gauche, et elle est affectée à d'épuisants travaux de chantier. Elle ne reverra plus jamais sa mère, son père et son frère, et reviendra des camps à jamais changée.
Cette tragédie qu'elle a subi, lui a donné sa force, sa détermination pour plaider en faveur de causes qui lui tenaient à coeur, s'en tenant toujours à ses convictions.
Mais ne l'a jamais quitté l'horreur des camps. "J'ai le sentiment que le jour où je mourrai, c'est à la Shoah que je penserai". Une femme qui a su puiser sa force de l'horreur de son passé, et devenir l'icône qu'elle est devenue.
Elle oeuvra d'ailleurs pour la devoir de Mémoire, voulant que le génocide des Juifs soit reconnu. Ainsi, elle partage son expérience des camps avec les jeunes, et sera nommée présidente d'honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah par Lionel Jospin. Simone Veil fait du devoir de Mémoire son combat, désireuse que pareilles atrocités ne se reproduisent. Lors d'un entretien télévisé donné à l'occasion des 60 ans de la libération des camps, elle confie : "Soixante ans plus tard, je suis toujours hantée par les images, les odeurs, les cris, l'humiliation, les coups et le ciel plombé par la fumée des crématoires".
Un massacre qui ne peut, qui ne doit redevenir réalité. En 1995, elle acclame le geste de Jacques Chirac, qui reconnaît la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs. Elle tiendra tête par la suite aux propos négationnistes et antisémitisme de Jean-Marie Lepen, assimilant des militants FN qui avaient perturbé un de ses meetings de 1979 à des "SS au petit-pied". Egalement, Simone Veil affirme son espoir en l'homme, en s'opposant à la thèse de la banalité du mal de Hannah Arendt, voulant croire aux "Justes, ces hommes qui n'attendaient rien mais qui n'en ont pas moins couru tous les dangers pour sauver des juifs".
Vivre après les camps
Des camps, elle tirera cette force, cette énergie qui lui est propre.
De retour en France, elle fait des études de Droit à Sciences Po, rencontre et épouse Antoine Veil, et donne naissance à trois garçons. Elle n'oublie pas l'enseignement tiré de sa mère : une femme indépendante est une femme qui travaille. Après ses études de Droit, elle entre dans la Magistrature. Elle évolue dans le milieu Politique de droite du MRP, mais ses convictions l'amènent parfois à voter à gauche. Ainsi, elle défendra souvent des idées progressistes pour son époque, et sera nommée première femme secrétaire générale du Conseil supérieur de la Magistrature.
En 1974, un coup de téléphone sonne un nouveau tournant de sa vie. C'est Jacques Chirac, alors Premier Ministre, qui désire lui parler.
Ce dernier souhaite faire d'elle sa ministre de la Santé. Après quelques hésitations, Simone Veil finit par accepter. Toutefois, à peine arrivée, son prédécesseur, Michel Poniatowski la prévient du danger des avortements clandestins, devenus une préoccupation. Elle présente alors un texte pour autoriser l'IVG, et doit faire face aux milliers de lettres d'insultes qu'elle reçoit chaque jour. Simone Veil trouvera la force d'assumer ses convictions, et de tenir tête à ses opposants, notamment lors de son discours à l'Assemblée Nationale le 26 novembre 1974, où elle affronte courageusement ses détracteurs : "je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme. Je m'excuse de le faire devant une assemblée presque exclusivement composée d'hommes".
Pourtant, les critiques ne sont pas inexistantes. Un député fait entendre les battements de coeur d'un foetus, tandis que d'autres lancent des piques assimilant l'avortement aux chambres à gaz. Ne fléchissant pas, elle s'impose comme une femme politique de conviction, et se fait respecter de tous. La loi Veil sera adoptée le 17 janvier 1975. Simone Veil gagne en popularité, ayant su répondre aux attentes du peuple. Ses collaborateurs la décrivent comme une femme exigeante, s'emportant facilement, et supportant mal la médiocrité.
L'espoir de l'Europe, l'espoir de la paix
Autre combat de Simone Veil, l'Europe. En effet, contrairement à de nombreux Français à cette époque, Simone Veil sait distinguer le nazi de l'allemand.
Elle comprend l'importance d'instaurer une paix durable entre les deux pays, et au sein même de l'Europe. Son engagement guidera la décision du président Valéry Giscard d'Estaing qui, en 1979, décide de Simone Veil, fraichement élue députée européenne, présidente du premier Parlement européen élu au suffrage universel. L'emblème d'un passé commun, d'une paix durable, et d'un vouloir construire ensemble. Elle sera par la suite ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville dans le gouvernement d'Edouard Balladur, puis membre du Conseil Constitutionnel de 1998 à 2007.
En 2007, Simone Veil se livre dans son autobiographie Une Vie, dans lequel elle raconte une vie de combat. Elle sera par la suite récompensée, accédant directement à la distinction de grand officier de l'ordre national de la Légion d'honneur, le 1er janvier 2009.
Sa popularité perdure, comme le montre un sondage réalisé par l'Ifop, qui la déclare "femme préférée des Français". Nouvelle consécration en 2010, où Simone Veil fait son entrée à l'Académie française, institution gardienne de la langue française. Sur son épée est gravée son matricule de déportée, une gravure du visage de sa mère, ainsi que la devise de la France et de l'Europe "Unie dans la diversité". Par là-même, elle accède au rang d'immortelle, rang attribué aux membres de l'académie. Jean d'Ormesson l'accueille par un discours, dans lequel il témoigne de la gratitude de tous, du respect qu'incite cette femme de tous : "comme l'immense majorité des Français, nous vous aimons Madame".
Simone Veil a suscité, et continuera de susciter le respect.
De nombreuses personnalités lui ont rendu hommage, au delà de la sphère politique, pour saluer une femme qui a marqué son temps et reste un modèle pour tous. Une pétition circule d'ailleurs pour faire de Simone Veil la cinquième femme inhumée au Panthéon. Pour l'heure, une cérémonie d'obsèques sera donnée le 5 juillet aux Invalides, présidée par le Président Emmanuel Macron.
"La liberté d'expression totale, illimitée, pour toute opinion quelle qu'elle soit, sans aucune restriction ni réserve, est un besoin absolu pour l'intelligence. Par suite c'est un besoin de l'âme, car quand l'intelligence est mal à l'aise, l'âme entière est malade."