La sologamie, c'est faire le voeu de se dire "oui" lors d'un mariage en grande pompe, mais en rejetant la tyrannie du couple. Allez, on salue le prince charmant et son cheval qui ne viennent pas, et on s'épouse soi-même. Vu comme ça, on peut comprendre que certaines préfèrent faire ce choix plutôt que d'être déçue... Après des phénomènes tels que la monogamie, ou la polygamie, c'est au tour de la sologamie de faire son arrivée. L'étymologie du mot renvoie à seul et à mariage (gamos). Etre sologame, c'est donc s'épouser soi-même. Le terme vous dit vaguement quelque chose ?

Peut-être pensez-vous à Carrie Bradshaw, l'héroïne de Sex and the City qui décide de se mettre la bague au doigt et se marier seule, déçue de ne trouver chaussure à son pied. Eh oui, c'est bien de l'héroïne de la série que vient ce terme ! Pourtant, si l'appellation est récente, c'est en 1993 que Linda Baker, une assistante dentaire de Los Angeles décide de se marier avec elle-même. Il s'agit de la première femme à avoir fait ce choix. Marre d'attendre celui avec lequel elle pourrait partager le plus beau jour de sa vie, elle organise le mariage de ses rêves. Entourée de 75 amis proches invités, Linda Baker a pu descendre l'allée improvisée à côté d'un bar de Santa Monica, tandis que son ami et acteur Ron Cummins l'a mariée à elle-même.

La sologamie, un phénomène qui prend de l'ampleur

Les statistiques le montrent : de plus en plus de femmes, âgées d'une trentaine d'années, font le choix de s'épouser elles-mêmes. Pourquoi des femmes ? Pour échapper au diktat d'une société où la femme ne peut réussir sa vie qu'après un mariage en bon et dû forme (avec des enfants bien entendu).

Un rejet des normes sociales pour ainsi dire. D'autre part, l'industrie qui s'est créée autour du phénomène tend à prouver l'ampleur de celui-ci. En fait, c'est depuis le mariage de l'auteure de Quirkyalone : A Manifesto For Uncompromising Romantics, Sasha Cagen en 2014 que les mariages sologames ont commencé à être médiatisés.

Depuis, organisateurs de mariage (ou wedding planners), fournisseurs, agences de voyages, tous s'évertuent de répondre au mieux aux rêves de ces femmes, et faire de ce jour le moment qu'elles ont toujours souhaité. Par exemple, une agence de voyage japonaise, propose à ses clientes un pack mariage pour deux jours : comprenez pour la modique somme de 3000 euros, le prêt robe, la confection du bouquet et la réalisation du maquillage par des professionnels, une séance photo, et une nuit de noce dans la suite nuptiale d'un grand hôtel. Vous avez même la possibilité de louer un mari décoratif, âgé de 20 à 70 ans, pour ne pas être totalement seule ledit jour !

Envoyer paître le patriarcat

Sasha Cagen s'est jurée respect, fidélité, secours et assistance lors de son mariage à Buenos Aires.

Pour autant, ce mariage n'a rien à voir avec le fait de rester célibataire ou de cesser d'avoir des rencards. Il s'agissait simplement une manière de faire taire les voix qui lui disaient qu'elle ne serait jamais totalement épanouie sans un homme à ses côtés. Elle a donc décidé de se marier avec elle-même pour prouver qu'elle pouvait "s'auto-suffire". Ainsi, s'épouser soi-même aurait pour principal objectif de faire taire la pression d'une société qui valorise les femmes mariées, et qui rejette les femmes faisant voeu de célibat, perçues comme des "vieilles filles". D'ailleurs, force est de constater que cette expression n'est pas aussi souvent utilisée pour les hommes, ce qui témoigne de la perception moins choquante d'un homme qui ne désire procréer et préfère rester célibataire.

Auparavant, la femme n'avait une existence que par son époux ; on le voit à la modification de l'état civil, et au passage du "Mademoiselle" en "Madame", comme si le fait qu'une femme se marie changeait sa valeur, et la position sociale qu'elle devait occuper. En est-il de même pour ces messieurs ? Non, un homme reste un homme, avant ou après le mariage. L'écrivaine explique que son manifeste pour la sologamie a été publié en 2003, à une époque où les femmes célibataires devaient gérer leurs rencards comme des entretiens d'embauche, et où l'image de la "vielle fille" était mal vue par la société et les médias. " Avoir plus de 35 ans et être encore célibataire éveillait de nombreuses craintes au moment où j'ai écrit le livre.

" Vieillir et demeurer célibataire semble bel et bien décrié ; aussi certaines font le choix de s'épouser.

Bien entendu, les hommes et les homosexuels peuvent également s'engager dans la sologamie, mais selon Cagen la plupart des sologames sont des femmes hétérosexuelles. Elle explique que cela est dû à une pression sociale différentes pour celles-ci. On attend d'une femme dès sa naissance à ce qu'elle soit heureuse ; et comment ? Par le mariage, par des enfants... il n'y a qu'à voir les rayons jouets pour filles, qui pullulent de dînettes, de poupées... "Je pense que les membres de la communauté LGBT pourraient tirer les mêmes avantages du mariage à soi - notamment pour venir à bout des traumatismes, des abus et des violences homophobes subies.

Pourtant, ils n'ont pas dû faire face à la pression du mariage comme c'est le cas pour les femmes seules, donc je pense que ça ne fait pas écho de la même manière chez ces populations."

S'épouser soi-même pour contrer la pression des attentes sociales ?

"Vous voulez que je me marie ? Très bien, je me marie avec moi-même, à présent oubliez-moi"... Mais est-ce vraiment pertinent ? Ne tombent-elles pas dans le piège de répondre aux attentes de la société en voulant s'y opposer ? Bella DePaulo, auteure de Singled Out : How Singles Are Stereotypes, Stigmatized, and Ignored, and Still Live Happily Ever After pense que les célibataires sont toujours considérés comme des solitaires torturés malgré cette union avec eux-mêmes, mais qui ne voient pas dans la sologamie une entrave au complexe de l'industrie du mariage.

D'ailleurs, par leur choix, ils promeuvent l'institution, car ils font majoritairement des mariages en grande pompe. "En répétant le rituel du mariage, les sologames ne font que renforcer le pouvoir du mariage traditionnel, alors qu'ils cherchent en fait à faire barrage à ce pouvoir". Aussi, si être marié, est perçu comme un succès de la vie, faire le voeu de s'épouser contourne cette norme. Toutefois, le rejet n'est pas entier, puisqu'on répond à l'exigence du mariage par un simple détournement. "On nous a tellement répété que les célibataires étaient des êtres malheureux et seuls, uniquement tournés vers la recherche d'un conjoint - et que s'ils le trouvaient, ils seraient transformés comme par magie en des êtres plus heureux et plus sains [...] c'est difficile de maintenir cette vision du célibataire et du couple digne d'un conte de fées."

Sologamie et légalité

S'auto-marier n'est pas encore reconnu en Europe et aux Etats-Unis, et n'est donc pas légal.

Néanmoins, devant l'ampleur prise dans les pays occidentaux et les revendications qui vont de pair, la chose pourrait bien changer. D'ailleurs, la légalisation du mariage homosexuel qui a fleuri dans de nombreux pays ces dernières années, a renforcé ces revendications.Ainsi, Sophie Tanner, une anglaise de 37 ans a expérimenté le phénomène. Elle a bien été conduite à l'autel par son père, suivie de ses demoiselles d'honneur, et fait ses voeux d'amour et de respect dans une église unitarienne de Brighton. Seul élément manquant à ce mariage qui a tout du plus traditionnel des mariages : le mari. "Pour moi se marier avec soi est un acte de foi. Cela signifie que je m'engage vis-à-vis de moi et que je peux me rendre heureuse sans avoir besoin de quelqu'un d'autre pour me sentir entière".

Elle précise avoir écrit au service d'Etat civil pour demander si se marier soi-même était possible, mais avoir eu le droit à un ""non" catégorique". Affaire à suivre pour la légalisation de la sologamie !

Et vous, pour ou contre la sologamie ?