D’où je parle ? Religiophobe, donc islamophobe mais avec modération. Pas question de boycotter les produits halal et de crever la dalle en pente en Indonésie ou dans le Neuf-Trois. Mourir pour des idées, d’accord… mais… Au fait, Tariq Ramadan, qui discourait sur la fin du monde à l’invitation de l’Union des consommateurs musulmans (UFCM) en 2013 : était-ce bien raisonnable de surpayer des fruits et légumes halal depuis bientôt quatre ans alors que l’apocalypse est imminente ? Car désormais, ne vous méprenez plus : optez pour les primeurs halal et même bio ET halal.

Mais avec l’UFCM, méfiez-vous des contrefaçons !

Halal et soldes ?

Autre question. Est-il licite ou haram de solder des produits halal, voire de les proposer en promotion ? Ce type de questionnement, et d’autres encore plus farfelus, vous en trouverez des tonnes sur la plupart des forums musulmans (je n’ai pas écrit : salafistes, fondamentalistes, islamistes). Car en dépit des quelque 6 200 versets (à la louche, nombre variable selon les madrasas) du Coran, maintes interrogations sur la vie courante, le quotidien du croyant, restent problématiques. Et valent interminables palabres en ligne. Vérifiez… En tout cas, ne ratez pas les soldes chez les adaptes du mahdi Laye, les Layènes du Sénégal. La dot d’une très ou moins jeune épouse n’est que de 5 000 francs CFA (la moitié de la somme totale, l’autre allant à la mosquée lors d’une cérémonie collective), soit 15 euros environ TTC.

Restons sérieux : le mariage sera invalidé si la promise n’est pas consentante et généralement, elle reçoit davantage que cette somme minimale. Autre obligation, se livrer à des ablutions jusqu’aux genoux (et non uniquement aux chevilles comme ailleurs) avant mariage. C’est à ce genre de détail que le vrai croyant se distingue du semi-mécréant, voire de l’apostat.

Mais le débat reste ouvert.

Formidable marché

Selon diverses estimations, le marché mondial du halal se situerait à 1 300 milliards d’USD. Et il ne porte pas que sur la viande, mais sur à peu près tout, de l’alimentation au textile, et pourquoi pas bientôt l’électro-ménager. Cela peut aller plus loin. Bientôt l’ascenseur halal distinct du haram ?

Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue, fait un tabac à priser avec son étude Le Marché halal, ou l’invention d’une tradition (Seuil éd.). Mais ce n’est pas qu’un marché qui s’étend constamment depuis les années 1970, a d’abord touché mondialement les abattoirs (dans les pays exportateurs), a conduit à des ébauches de normalisation, avec l’appui des grandes multinationales ayant flairé le filon. La contagion déborde l’alimentaire ou les cosmétiques (contrôle d’additifs, des conservateurs, &c.) pour empiéter sur le tourisme et l’habillement. Où cela va largement au-delà, c’est que les musulmans sont en quelque sorte incités à porter l’équivalent de l’étoile jaune des Juifs sous l’occupation.

Ce qui permet d’une part de ne plus fréquenter ceux qui ne la portent pas (ils pourraient vous contaminer), et de les inciter à une ségrégation en retour. Économiquement, cela crée des emplois pour les musulmans : plus question de laisser aux mécréants le contrôle et la mise en œuvre des opérations de production, sinon à la marge. Mais surtout, comme le souligne l’anthropologue, le halal devient ‘’un moyen de contrôler non seulement des objets, mais aussi des comportements’’ (in Libération). D’instaurer une ligne de démarcation entre les ‘’purs’’ et les ‘impurs’’ infréquentables. Bientôt, se dire ‘’muslim friendly’’ ne suffira plus. Ce qui est plus largement en jeu, c’est la généralisation des marqueurs identitaires et l’instauration progressive d’un apartheid. Qu’on se rassure : il serait moins rentable, y compris pour une majorité de commerçants musulmans, à moins que ne s’instaurent, comme au Royaume-Uni, de véritables ghettos…