Le sujet de l'enfance et de sa protection est un sujet qui nous concerne tous directement, car notre avenir ne dépend-il pas d'eux ? L'enfant est un merveilleux miroir de notre société. Véritable éponge, il peut être capable du meilleur comme du pire. N'est-il pas agité lorsque l'un des deux parents est énervé ou stressé ? N'est-il pas calme lorsque le parent se sent détendu et joyeux ?
On pourrait le considérer comme un indicateur de la météo émotionnel du monde.
J'ai été touchée par ce qui se passe en Côte d'Ivoire. Cet endroit du globe d'où semblent sortir certains des pires modèles de fonctionnement humain. Quand ce n'est pas le point de départ des arnaques aux sentiments sur les réseaux sociaux, c'est le travail des enfants, comme pour l'exploitation des fèves de cacao.
Un nouveau phénomène prend actuellement de l'ampleur, du côté d'Abidjan, celui des enfants de la violence. Ce sont des enfants de la rue, à savoir qu'ils n'ont que peu de relations familiales, la rue étant leur famille, et qu'ils développent des stratégies de survie, se sentant menacés en permanence.
Ceux qu'on appelle les "Microbes"
Les "Microbes" sont une catégorie particulière d'enfants de la rue. Âgés entre 10 et 18 ans, de petites tailles, frêles, ils se regroupent en gangs très violents et attaquent les quartiers populaires. Ils ont appris la violence après la crise post-électorale de 2010, servant de petites mains aux milices du moment. Et ils se multiplient à une vitesse grand V ! En sachant que la population ivoirienne est composée d'environ 57% d'enfants de moins de 20 ans, la contamination se fait rapidement et devient un véritable problème de société.
Les effets d'une société bipolaire ?
Peut-être cette situation est-elle le résultat de la bipolarité dans laquelle la société ivoirienne a évolué, mélangeant traditionalisme et modernité, sans avoir vraiment su faire émerger son propre modèle sociétal.
D'une conscience collective induisant une société communautaire basée sur la solidarité et l'union des groupes, l'individu s'est oublié au profit des valeurs et intérêts du groupe. Vers une société moderne issue de la colonisation, permettant, certes, de nouvelles bases technologiques et d'approches différentes des situations, la famille étendue s'est perdue. Ce qui contribue au sentiment d'isolement des enfants, qui cherchent alors à reproduire une autre structure groupale, en allant dans la rue. Rajoutez à cela la difficulté de vivre à cause de ressources limitées, particulièrement à Abidjan, et un système scolaire inefficace, qui ne favorise pas l'insertion des jeunes en difficultés, mais plutôt une exclusion s'ils ne font pas partis d'une élite.
Ces "Microbes" ne seraient-ils pas le reflet d'une transition, la volonté de sortir d'un modèle sociétal ancien où le groupe prévaut sur l'individu, sans pour autant avoir trouvé une nouvelle dynamique d'existence, qui exprimerait l'individualité dans la groupéité de manière équitable ? Chaque enfant cherchant sans le savoir, à se protéger dans ce passage, par une violence excessive et un retour aux instincts primitifs comme le feraient des animaux sauvages, et plus par une appartenance à un groupe ethnique et une lignée.
Des solutions efficaces ?
Même si des associations essayent de s'investir dans cette situation, la protection des enfants n'en est pas encore à son optimum. Il semble aujourd'hui difficile d'enrayer ce fléau.
L'état n'intervient pas pour punir les actes violents répréhensibles par la loi. Ce sont les villageois qui cherchent à rendre justice eux-mêmes. L'autorité, la protection et l'affection, initialement des valeurs et des sentiments issus du lignage, ne vivent plus. Peut-être faudrait-il réfléchir à ce qui pourrait aider à remettre en avant ces valeurs, pour que ces enfants penchent plutôt vers la joie d'exister que vers la haine de vivre, et retrouve la conscience de la bénédiction de la vie !
A ne pas manquer...
Le reportage d'Aliénor Carrière et Claire Bargelès sur le sujet, "Microbes", diffusé le 17 juin 2017 à 18h35 sur Arte.