L’actualité s'essouffle avec le nombre impressionnant de morts liés au COVID-19 depuis ce début d’année 2020. Cependant, le cancer reste de loin la première cause des décès prématurés en France (source : Santé publique France). Ce sont plus de 150.000 personnes qui décèdent chaque année à cause de cette maladie. Pour aider les patients à mieux guérir, une société, Nanobiotix, propose une technologie de pointe, capable de guérir et mieux traiter les patients atteints du cancer.

Cette entreprise dont la capitalisation boursière a dépassé les 180 millions d’euros au mois d’août 2020, est en constante recherche pour essayer de nouvelles prouesses thérapeutiques.

Pour évoquer cette innovation française dans le projet BlastingTalks, qui consiste à se concentrer sur les challenges auxquels les compagnies font face lors de l’évolution du monde digital et lors de cette période inédite de crise sanitaire, la parole a été donnée au co-fondateur de Nanobiotix, Laurent Levy.

Vous avez créé Nanobiotix en 2003, qu'est-ce qui a lancé cette idée il y a 17 ans ?

Dès la fin de ma thèse sur les nanotechnologies il y a plus de 20 ans, je me suis posé la question des applications de ces nanoparticules dans le domaine de la santé. Quelques années plus tard après être passé par l’université de Buffalo à New York , j’ai décidé de créer Nanobiotix avec une conviction forte : les propriétés extraordinaires des nanoparticules d’hafnium peuvent sauver des vies.

Dès lors, mes équipes et moi-même avons tout fait pour transformer cette idée en une réalité concrète pour les patients.

Votre société est pionnière en nanomédecine.

Pouvez-vous nous expliquer simplement ce qu'est cette dernière ?

Au départ, dans les années 1990 voire 2000, les propriétés des nanoparticules ont été exploitées pour véhiculer et transporter les médicaments. Il s’agissait alors d’encapsuler les médicaments dans des objets nanoscopiques, afin de faciliter leur délivrance dans certaines zones de l’organisme et de les rendre moins toxiques.

Quelque temps plus tard, on a commencé à envisager que la nanoparticule devienne elle-même le principe actif. C’est ce que nous avons fait chez Nanobiotix : nos nanoparticules d’hafnium viennent amplifier l’efficacité des rayons X, en les attirant, en les captant tel un aimant pour aider à détruire les cellules tumorales tout en limitant les effets délétères autour de la cellule. Cette approche nouvelle découle strictement de la physique et non plus de la biologie.

Votre approche thérapeutique se distingue complètement des méthodes classiques, en quoi votre innovation est-elle différente ?

Depuis dix ans, en cancérologie, on ne parle plus que de « médecine de précision » ou de « médecine personnalisée ».

L’industrie pharmaceutique et les sociétés de biotechnologies développent de nouvelles solutions thérapeutiques en fonction de la biologie des patients. Elles tentent de trouver le bon récepteur qui correspond aux caractéristiques spécifiques de la maladie du patient pour pouvoir avoir le traitement le plus précis possible. C’est vrai que les approches liées aux thérapies cellulaires et surtout l’immuno-oncologie ont apporté ces dernières années des traitements beaucoup plutôt efficaces dans certaines indications. Mais ces technologies s’appliquent à des sous-populations de patients de plus en plus restreintes.

Personnellement, je pense qu’on arrive au bout de cette logique. Notre approche, elle, n’est pas biologique mais liée à la physique.

Quand on irradie une tumeur avec des rayons X, on la détruit, quelles que soient ses caractéristiques biologiques et cellulaires. C’est tout simplement mécanique. Les nanoparticules que nous développons amplifient l’efficacité des rayons X : on parle de « radioenhancer ». Comme cette approche est universelle, elle nous permet de travailler sur un grand nombre de cancers avec la vocation in fine de soigner des millions de gens.

Nous vivons depuis 7 mois une crise inédite, la santé est placée en tête des préoccupations de nombreux gouvernements dans le monde. Comment avez-vous vécu cette période avec vos équipes ?

Comme tout le monde, on a fait ce qu’on a pu au départ et on s’est adapté. Après avoir mis nos équipes en sécurité, on a assuré la continuité de l’activité de la société.

Notre développement repose en grande partie sur des essais cliniques menés dans les hôpitaux, avec des patients volontaires. Sur cette partie, nous avons ressenti un certain impact comme tous les acteurs de notre industrie. Face à la pandémie de Covid, de nombreux centres cliniques dans le monde ont arrêté de recruter. Et ce n’est pas terminé. Nous avons donc subi des retards. Mais cela reste gérable, jusqu’à présent. Pour le futur, il faudra que l’on s’adapte pour voir comment continuer à développer des produits dans un environnement où le coronavirus pourrait durer.

Les patients atteints du cancer sont plus à risques face au coronavirus ?

Il est certain que les personnes fragilisées risquent de développer des formes plus sévères de la Covid-19.

Les patients atteints d’un cancer en font partie. Mais le plus grand risque est que ces malades ne se rendent plus à l’hôpital par peur d’être contaminés. Cela risque de créer des dommages collatéraux importants.

Vous aidez des millions de patients qui effectuent des radiothérapies, quels sont les bénéfices rapportés pour eux ?

60% des patients atteints de cancer reçoivent, dans le cadre de leur traitement, des rayons X. Ils suivent une radiothérapie. Cela représente une population énorme. Certains d’entre eux guérissent et d’autres non. La raison est simple : on peut pas toujours administrer la dose nécessaire de rayons pour ne pas causer de dommages trop importants aux tissus sains.

Notre nanoparticule est injectée directement, dans la tumeur du patient, avant la radiothérapie.

Lorsque le patient reçoit les rayons, la nanoparticule amplifie fortement leur rayonnement et ce de manière hyperlocalisée. Notre solution permet ainsi d’augmenter l’effet destructeur des rayons sur les cellules cancéreuses, sans accentuer les dommages causés aux tissus environnants.

Les bénéfices sont potentiellement immenses : augmenter les chances de guérison, réduire les effets secondaires des radiothérapies et renforcer l’efficacité des autres traitements combinés. En fait, nous nous inscrivons dans le sillon ouvert, il y a plus d’un siècle par Marie Curie, qui a ouvert la voie, grâce à la physique, à une vague d’innovations à portée universelle en cancérologie : radiothérapie, curiethérapie, médecine nucléaire.

Quels sont les grands défis de demain pour la lutte contre le cancer selon vous ?

Je crois que le principal enjeu aujourd’hui est de revenir vers des innovations utiles au plus grand nombre. Le cancer frappe la population mondiale dans son intégralité. Plus on vieillira, plus on développera des cancers, et peut-être même de nouveaux cancers. Il faudra donc trouver des produits qui puissent soigner des millions de patients.

Un autre enjeu sera de penser tous les traitements en fonction de la qualité de vie des patients. Soigner et sauver les gens c’est bien, mais leur donner les moyens de bien vivre durablement, c’est encore mieux. Un produit doit répondre à un besoin médical compris de manière holistique, et pas uniquement sous l’angle de la guérison.

Récemment le programme Horizon Europe qui débutera en 2021 a promis de placer la lutte contre le cancer et de sauver 3 millions de patients de cette maladie d'ici 2030, peut-on croire à ce genre de programme de recherche et innovation ?

J’en ai l’intime conviction : ce n’est qu’une question de temps ! Maintenant, le nombre de « 3 millions » est selon moi trop restrictif.

Nous devons être bien plus ambitieux. Si nous regardons froidement les chiffres, nous avons à peu près une vingtaine de millions de nouveaux cas par an. La moitié sont mal guéris, ce qui fait beaucoup plus que ces 3 millions mis en avant. Je pense sincèrement que nous avons les moyens d’aller plus loin, il ne faut pas lésiner sur ces programmes.

Aujourd’hui Nanobiotix dispose de trois filiales : en Europe (Allemagne, Espagne) mais également aux États-Unis, auriez-vous des projets d'expansion en préparation ?

Le cancer n’est pas une maladie locale, mais une urgence de santé publique planétaire. Nos projets d’extension sont liés à notre volonté de rendre accessibles nos traitements et nos innovations à la population mondiale...

plus que d’ouvrir des filiales dans tous les pays.

Certains dirigeants, penseurs, entrepreneurs ou personnalités publiques estiment qu'après une crise comme celle du nouveau coronavirus, il devient primordial de repenser le monde de demain. Avez-vous de nouveaux projets qui ont émergé depuis ce virus ?

Le Covid-19 est un défi majeur de santé publique. Mais le cancer, reste la seconde cause de mortalité en France, avec plus 150.000 décès par an, ce qui est bien loin devant la Covid-19. En dépit de cette crise, notre ambition n’a pas changé. Nous souhaitons guérir toujours plus de patients du cancer. C’est l’étape que nous tentons de franchir actuellement en publiant régulièrement des études scientifiques avec des résultats très prometteurs. Demain, nous pourrions nous attaquer à d’autres pathologies comme maladies neurodégénératives. Notre mission est simple : aider les gens à vivre mieux et longtemps.