Les Bleus sont arrivĂ©s au Japon en prĂ©vision de la Coupe du monde de rugby 2019 et ont mĂȘme dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© un entraĂźnement. Le XV de France a voulu ainsi effacer aussi vite que possible le dĂ©calage horaire pour ĂȘtre prĂȘt Ă  affronter ses adversaires dĂšs le 21 septembre. L'Ă©quipe de France sera confrontĂ© Ă  des adversaires aussi valeureux que l'Argentine, les Tonga, et les Etats-Unis. Et c'est tant mieux. L’idĂ©al du rugby affirme que « se mesurer Ă  l’autre fait grandir ». Au rugby, l'adversaire, qui a quinze tĂȘtes, trente bras et trente jambes, est un « partenaire » avec qui l’on se construit dans l’affrontement.

MĂȘme s'il suffit de coller l’oreille Ă  une porte de vestiaire, ou d’écouter discrĂštement les conversations de tribunes et de bistrots, pour entendre une marĂ©e de mots d’une violence inouĂŻe, qui nous rappelle que, au rugby, la limite entre adversaire et ennemi est fragile.

Un cri venu des entrailles d'un peuple

Dans ce cadre, l’adversaire ultime, ce sont les All Blacks, l'Ă©quipe de Nouvelle-ZĂ©lande. Car, dans ce pays-lĂ , il n'est pas un gamin qui n'aspire Ă  porter un jour la tunique noire. Aux antipodes, le rĂȘve n'est pas de devenir prĂ©sident de la RĂ©publique, star de cinĂ©ma ou chanteur de rock, non ! All Black ! Allez festoyer avec un nĂ©o-zĂ©landais dans un bar. Vous parlerez du Haka, ce chant de guerre maori que l’équipe de Nouvelle-ZĂ©lande hurle Ă  la face de ses adversaires avant chaque match international.

Ronde collective, rite guerrier venu du fond des Ăąges, le Haka s’empare du corps des joueurs, et les emporte dans une transe de possĂ©dĂ©s. Les pieds, les bras, les langues et les yeux jouent alors une partition frĂ©nĂ©tique unique dans l’Ovalie mondiale. Peut-ĂȘtre que votre nĂ©o-zĂ©landais posera soudainement sa biĂšre pour faire un Haka, le plus sĂ©rieusement du monde, les yeux Ă©carquillĂ©s, le corps vibrant, en hurlant.

On ne badine pas avec l’ñme des guerriers
 Dans les stades, devant le Haka, chaque spectateur a le regard braquĂ© sur l'Ă©quipe nĂ©o-zĂ©landaise, et il ne viendrait Ă  l’idĂ©e de personne de se moquer de cette pulsion Ă©trange qui s’empare de ces joueurs.

La perfide Albion

Autre adversaire ancestral pour nous, les Français, l'Angleterre.

Il y a dans notre façon de jouer, de vivre et d’apprĂ©hender ce jeu une dimension libertine et impertinente que les Anglais ne peuvent dominer et encore moins comprendre. ImprĂ©visible, violent et mal Ă©levĂ©, le rugby français intrigue les Anglais. Il est certainement dans la nature humaine d’admirer secrĂštement ce que les autres possĂšdent, et Ă  ce titre, le french flair les angoisse et les dĂ©boussole. MalgrĂ© tous leurs bons joueurs, les Anglais n’ont jamais eu de Serge Blanco ! Les avants de devoir, les sauteurs acadĂ©miques et les belles caisses capables de pourfendre sans Ă©tat d’ñme le pack adverse furent en revanche trĂšs nombreux dans leurs rangs. Des paires de seconde ligne d’abord, parmi les plus belles charpentes d’Europe depuis les annĂ©es soixante, de Marques- Currie Ă  Johnson-Bayfield en passant par Ackford-Dooley et le « rouflaquettĂ© » Bill Beaumont.

Des troisiĂšme ligne sacrificiels ensuite, rusĂ©s en soutien offensif et meurtriers sous les chandelles : Ripley, Neary, Winterbotton, Ben Clarke, Dean Richards dans le passĂ©, Richard Hill, Neil Back et Lawrence Dallaglio aujourd’hui. Les Anglais ont toujours vĂ©nĂ©rĂ© le jeu d’avants : un maul qui met l’adversaire sur les fesses, une bonne up and under et un but de pĂ©nalitĂ© en conclusion, voilĂ  ce qui fut pendant longtemps la tasse de thĂ© de tous les amateurs de rugby en Angleterre.

French flair

Anglo-Saxons, Asiatiques, Latins, tous nous envient notre french flair autant qu’ils le raillent et le redoutent. Les Irlandais ont le fighting spirit, les NĂ©o-ZĂ©landais la discipline, les Argentins les cojones, et nous, le french flair.

Traduisez : le flair français. L’expression nous vient des Anglais, eux si fortement imprĂ©gnĂ©s de logique, de discipline et d’analyse tactique. Il leur fallait trouver un mot pour dĂ©signer cette capacitĂ© française Ă  apporter au jeu une touche d’extravagance inexplicable, sortie de nulle part, absente de tous les manuels techniques. En mĂȘme temps, stigmatisant l’effronterie dĂ©sordonnĂ©e des Français, les Britanniques ne cachaient pas un soupçon de moquerie
 Voulaient-ils dire que les Français qui, longtemps, ont essuyĂ© les dĂ©convenues sans se dĂ©partir de leur singuliĂšre touche de folie, avaient plus de nez que de cervelle ? Gardons-nous d’ĂȘtre paranoĂŻaques, et avouons que le french flair, arme suprĂȘme des Gaulois d’Ovalie, donne lieu aux plus belles actions, comme au plus grand dĂ©sordre !