Les carottes sont cuites à Créances. Les agriculteurs ne participeront pas à la 28e édition de la carotte, remplacée par une « Fête des Terroirs ». La raison invoquée est l’interdiction d’un produit qui permet de lutter contre un ver - le nématode, mangeur de carottes.

C’est qu’en face, le lobbying écologiste est intense mais n’a cependant que très peu de solutions concrètes à proposer. Même les constats les plus alarmistes sont suivis d'appels à la mesure. Ainsi, Maxime de Rostolan, l'un des protagonistes du documentaire On a 20 ans pour changer du monde, le reconnaît : « Pour faire bouger les choses, il faut laisser une marge aux gens, on ne peut pas tout changer en 5 ans ».

Le jeune ingénieur est à l'origine de l'association Fermes d'avenir, dont l'objectif est d'accélérer la transition écologique. Il fait cependant preuve de prudence sur de nombreux sujets sensibles : « Oui, typiquement si on interdit le glyphosate aujourd'hui, tout le monde se mettrait à labourer et ce serait une connerie. Les gens ne pourraient pas se passer de glyphosate. Donc il faut du temps pour préparer la suite », concède-t-il.

Un réalisme et sens du pragmatisme qui dénote. Glyphosate, rejet de la sortie en 2021

Le cas du glyphosate est emblématique d’une décision prise à la hâte, pour finalement rétropédaler et revenir sur une sortie en 2023. En novembre dernier, alors que l'UE venait de renouveler pour cinq ans l'autorisation du glyphosate, Emmanuel Macron s'était empressé de dire que la France interdirait entièrement l'herbicide « au plus tard dans trois ans ».

Une affirmation téméraire que son ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a dû plus que nuancer en février : « Je ne suis pas buté, si certains agriculteurs ne sont pas prêts, on envisagera des exceptions », a-t-il concédé.

Le 4 avril dernier, un rapport de la mission parlementaire sur les pesticides sonnait comme un avertissement à l’égard de l’Exécutif.

« L'établissement d'un lien de causalité entre la survenue d'une pathologie et l'exposition aux produits phytopharmaceutiques est délicat », ont souligné les parlementaires. Aussi, si l'abandon des pesticides reste l'objectif à moyen terme, la mission conseille pour l'instant d'interdire le glyphosate uniquement dans sa fonction dessiccative, soit l'usage sur les plantes pour les déshydrater et faciliter leur récolte.

Une interdiction plus limitée que celle annoncée par Emmanuel Macron. Comme le confirme Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) « bien que beaucoup de contre-vérités circulent au sujet du glyphosate – notamment sur un éventuel effet perturbateur endocrinien qui n’a jamais été démontré et qu’aucun élément ne permet de suggérer — nous ne disposons d’aucun élément qui pourrait permettre un retrait immédiat des AMM, en l’état actuel des connaissances. »

Du temps et de l'innovation

Si pour Eric Thirouin, secrétaire général adjoint de la FNSEA, il est nécessaire de « travailler aux alternatives pour répondre aux attentes de la société ».

Mais la réduction de l'usage, des risques et des impacts des produits phytosanitaires « ne sera possible qu'en trouvant des alternatives et en investissant dans des solutions nouvelles », ajoute M. Thirouin. Hélas, loin d'annoncer des investissements, le gouvernement ne propose « qu'une seule chose : des charges, des taxes supplémentaire », a dénoncé le secrétaire de la FNSEA le 25 avril, lors de la présentation du plan d'actions pour réduire la dépendance aux produits phytopharmaceutiques.

Du temps et de l'innovation, voilà ce que le secteur demande. Certains activistes semblent cependant trop pressés, et cette attitude n'est pas sans risques, y compris pour la cause qu'ils défendent. Paradoxalement, « l'extraordinaire croissance du marché bio pourrait en atténuer la philosophie », prévient Frédéric Denhez, journaliste à France Inter qui vient de publier Le Bio au risque de se perdre.

Pour le spécialiste des questions environnementales, le bio est confronté à plusieurs dangers bien réels. Le principal serait d’être contrôlé par les distributeurs au détriment des producteurs. Aussi, le bio « risque de se perdre également dans des postures manichéennes, car il est censé représenter le camp du bien et le conventionnel, le camp du mal. Ces postures font peur à la fois aux agriculteurs et aux consommateurs qui ont envie de changer leurs pratiques ». Des biais psychologiques de l’opinion qui seront difficiles à déconstruire…