Huit mois après le début du blocus qui pèse sur lui, le Qatar a trouvé de nouvelles ressources pour pallier la rupture des relations diplomatiques et commerciales avec l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte. Tandis que Doha a su profiter de la situation pour transformer son économie, le quartet arabe semble, quant à lui, en délicate position. Un paradoxe qui n’est pas sans rappeler les pertes colossales de l’Union européenne suite aux sanctions économiques prononcées contre la Russie.
Privé de tout échange avec ses principaux voisins et partenaires économiques, le Qatar donne, depuis le 5 juin 2017, tout son sens à l’expression « un mal pour un bien ». Malgré le choc brutal subi à l’annonce du blocus, le petit Émirat fait preuve d’une résilience remarquable en transformant ce coup dur en opportunité de développement. Pour remplacer les produits en provenance d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, et ainsi éviter la pénurie, Doha a, dans un premier temps, trouvé de nouvelles sources d’approvisionnement en Turquie, en Iran, au Maroc et en Europe. Mais face au prolongement du blocus, le pays s’est doté de nouveaux moyens de production au point de viser l’autosuffisance dans le secteur laitier d’ici le mois de juin ou juillet.
Sur les 14.000 vaches nécessaires pour accomplir ce tour de force, près de 3.400 étaient déjà arrivées par avion fin novembre sur le territoire qatari. En provenance d’Allemagne et des États-Unis, elles doivent permettre de produire suffisamment de lait pour pourvoir aux besoins des 2,7 millions d’habitants en produits laitiers. Pour les accueillir, une exploitation a été construite à Baladna, à 80 km au nord de la capitale, pour un investissement d’environ 695 millions d’euros. Pour l’Irlandais John Dore, directeur de l’entreprise Baladna Livestock Production, cet « effort national » revient à dire à l’Arabie saoudite et ses alliés que « nous n’avons pas besoin de vous, nous pouvons le faire nous-mêmes ».
« Cette crise a réveillé les Qataris, ajoute-t-il. Ils ne veulent plus être dépendants de leurs voisins. L’autosuffisance est leur nouveau mot d’ordre. »
Effet boomerang pour l’Arabie saoudite et les EAU
Forcé d’apprendre à subsister par lui-même afin de ne pas avoir à se plier aux nombreuses conditions de levée du blocus, le Qatar réinvente par la même occasion son modèle économique. Parmi les nouvelles mesures prises ces derniers mois, l’une d’elles autorise maintenant les étrangers à détenir 100 % des parts d’une entreprise dans la plupart des secteurs. Et contre toute attente, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis subissent aujourd’hui davantage les conséquences du blocus. Victimes directes de ces tensions, plus de 300 entreprises saoudiennes implantées en territoire qatari doivent s’effacer au profit de concurrents turcs ou iraniens.
Un manque à gagner de plus pour le géant pétrolier, qui souffre déjà du faible cours du baril depuis trois ans et demi. En 2016, son déficit s’élevait à 17,3 % du PIB, et on l’annonce en récession en 2017...
Côté émirati, certains groupes comme Drake & Skull ont perdu 10 % de leurs parts de marché et voient s’échapper de gros contrats comme celui du métro de Doha. Les banques Abu Dhabi bank et Emirates NBD accusent des retards de financement, tandis que Dubai, capitale économique des EAU, sent la menace se rapprocher. D’un côté comme de l’autre, l’impact est surtout néfaste en termes de politique internationale. À travers leur plan décennal intitulé Vision 2030, les deux pays veulent donner l’image de métropoles modernes et ouvertes vers l’extérieur.
Malgré la purge qui se poursuit, le prince saoudien Mohammed Ben Salman aspire même à faire de Ryad un hub entre les continents et un épicentre du commerce mondial. Un non-sens pour l’économiste Younes Belfellah, qui se demande comment l’Arabie saoudite peut aspirer à jouer un tel rôle alors qu’elle ne parvient même pas à s’entendre avec son propre voisin.
Russie : une production intérieure record suite aux sanctions de Bruxelles
Vu d’Europe, la situation n’est pas si étrangère que cela. Depuis bientôt quatre ans que durent les sanctions économiques à l’encontre de la Russie et l’embargo russe sur la plupart des produits européens, Moscou a remplacé les importations de France et d’Allemagne par une augmentation de sa production nationale, estimée à 3,7 milliards d’euros supplémentaires en 2017.
Grâce aux investissements dans la modernisation de ses équipements, l’agriculture russe a dépassé l’an dernier ses meilleurs résultats depuis la récolte de 1978, soit au temps de l’ère soviétique. À l’inverse, la facture s’avère salée pour l’Union européenne, qui aurait perdu près de 100 milliards d’euros depuis l’application de sanctions économiques suite à l’intervention de l’armée russe en Ukraine en 2014. Les agriculteurs français et allemands auraient particulièrement souffert de l’embargo russe consécutif à cette mesure, synonyme de 42 000 pertes d’emplois en Allemagne, selon Markus Frohnmaier, député du parti allemand Alternative. Là aussi, les gagnants ne sont pas ceux que l’on aurait crus au départ...