L’élection du président Jair Bolsonaro a donné lieu à une véritable tempête dans les médias occidentaux. En dépit des critiques, légitimes, que l’on peut avoir à l’égard du nouveau chef de l’État brésilien, ce torrent de condamnations laisse un goût amer : une fois de plus, les élites américaines et européennes se mêlent de la politique en Amérique du Sud. Un colonialisme transformé en paternalisme et qui n’en finit pas.

En 1991, avec la chute de l’URSS, ce n’est pas seulement l’Europe centrale qui pouvait espérer accéder à une pleine indépendance : les nations sud-américaines étaient depuis des décennies condamnées à s’arrimer derrière les États-Unis ou l’Union soviétique.

La chute du mur était une opportunité pour ces pays d’accéder à une pleine souveraineté qui n’avait jamais été effective depuis la libération de la tutelle espagnole au XIXe siècle. La doctrine Monroe, qui fait de l’Amérique latine « l’arrière-cour » de Washington, devenait théoriquement caduque tandis que les nations européennes étaient censées avoir abandonné depuis longtemps toute volonté de se mêler des affaires de la région.

Mais la furia médiatique déclenchée au moment de l’élection de Jair Bolsonaro et les actions intentées à la CPI contre le gouvernement Maduro démontrent que les occidentaux continuent de vouloir avoir leurs mots à dire sur la direction politique des États sud-américains, qu’ils soient de droite ou de gauche.

Brésil : pluie de « points Godwin »

Le 28 octobre dernier, Jair Bolsonaro était élu président de la République fédérative du Brésil. Après être arrivé en tête du premier tour, l’homme de 63 ans a recueilli 55,13 % des voix lors du second tour d’un scrutin dont le taux participation a frôlé 80 %.

Une victoire nette accueillie froidement par les élites occidentales et surtout européennes, comme le symbolise la une de The Economist, titrant « Bolsonaro président : le dernier péril de l’Amérique latine ».

En France, la majorité de la classe politique française a affiché une irritation quasi injurieuse après les premiers résultats du scrutin. Les adjectifs peu flatteurs ont fusé de toute part : Jair Bolsonaro serait « un chef autoritaire » pour Benoît Hamon ; un « admirateur de la dictature, ennemi des médias, amateur des fake news » pour le premier secrétaire du PS Olivier Faure, « un nouveau Pinochet » pour Djordje Kuzmanovic, orateur national de La France insoumise, dont le coordinateur et député Éric Coquerel n’a quant à lui pas hésité à brandir la comparaison avec Hitler.

La majorité n’est pas en reste puisque la présidente du groupe LREM à l’Assemblée nationale a estimé qu’« aucune démocratie n’était à l’abri ».

Même son de cloche du côté des ONG, Human Rights Watch estimant pour sa part que cette élection « est un grave revers ».

Un discours qui tranche avec les déclarations des autres nations de la région, même celles dirigées par la gauche. Le Venezuela a déclaré « féliciter le peuple brésilien pour cette célébration civique de ce second tour », tandis que le secrétaire général de l’Organisation des États américains, l’Uruguayen Luis Almagro, a même « applaudi le discours de vérité et de paix ».

Bien sûr, les hommages n’ont pas tous été enthousiastes, Caracas se contentant de féliciter davantage le peuple brésilien que le nouveau chef de l’État.

Il n’empêche, ni la presse ni les autorités officielles sud-américaines ne se sont livrées à cette pluie de « points Godwin » que nous ont donnés à voir les médias français pour expliquer cette élection. Une Reductio ad Hitlerum au lieu de comprendre comment un candidat évangéliste, sécuritaire et néolibéral a pu devenir chef de l’État brésilien. La corruption des partis traditionnels, la crise économique et sociale et une insécurité effrayante (31 homicides pour 100 000 habitants sachant la moyenne mondiale est de 7,5) expliquant largement le succès du discours de Bolsonaro.

Mais pour les responsables politiques et les journalistes français, le Brésil — et toute l’Amérique du Sud — doit rester figé dans un imaginaire romantique et sympathique.

Ils se contentent d’une image de carte postale, au lieu de comprendre la carte électorale. Un paternalisme ethnocentrique, qui juge la scène politique brésilienne à l’aune des critères européens (pourtant critiquables), sommant les nations sud-américaines de rentrer dans leur moule. Et ce qui vaut pour la droite vaut aussi pour la gauche. En témoigne l’offensive de la CPI contre le gouvernement vénézuélien.

CPI au Venezuela : colonialisme light ?

Le 26 octobre dernier, le Premier ministre canadien Justin Trudeau déclarait que la crise au Venezuela était « une catastrophe pour l’Humanité ». Le même jour, Ottawa déposait une « demande d’enquête pour crimes contre l’humanité et violation des droits humains au Venezuela depuis le 12 février 2014, sous le gouvernement de Nicolás Maduro ».

Une procédure soutenue par plusieurs pays comme la Colombie, principal adversaire du Venezuela dans la région, mais aussi par les États-Unis ou la France.

La CPI est régulièrement accusée d’être un instrument des anciennes puissances coloniales pour légitimer leur interventionnisme en Afrique et faire tomber les dirigeants qui les gênent. Cette action contre le gouvernement élu au Venezuela s’apparente bel et bien à un nouveau coup de force de l’Occident.

Une procédure devant la justice internationale quelque peu hypocrite : la crise politique et sociale que traverse le Venezuela dépasse de loin la seule question de l’héritage d’Hugo Chavez et du gouvernement de Nicolas Maduro. De plus, en matière de Droits de l’Homme, la France ou le Canada se sont bien gardés de traîner la Chine ou leurs alliés du Golfe devant la Cour Pénale Internationale.

En cherchant à résoudre un conflit, une crise, ou à destituer un gouvernement qui lui déplaît par une intervention extérieure, l’Occident s’apprête à répéter les mêmes erreurs faites en Irak ou en Libye. La crise à Caracas a ses ressorts et ses raisons qui lui sont propres et la meilleure sortie de crise ne pourra venir que du peuple vénézuélien. D’une manière générale, les bonnes consciences européennes ou américaines seraient bien inspirées de laisser les peuples d’Amérique latine gérer leurs crises et faire les choix électoraux de la manière qu’ils leur conviennent.