Hier réservoir d’hommes utilisés pour l’esclavage,l’Afrique aujourd’hui offre ses terres à l’Occident, l’Asie et l’Amérique latine. Plusieurs pays africains (Soudan, Madagascar, république démocratique du Congo, Tanzanie, Ethiopie) vendent leurs terres arables aux pays occidentaux en s’appuyant sur les contrats de longue durée de 15 à 99 ans pour un bénéfice nul en termes de revenus et de valorisation des cultures vivrières pour les populations locales.

De nombreuses organisations gouvernementales et/ou non-gouvernementales au sein desquelles on trouve des groupes de recherche, comme Oakland Institute (américain,) annoncent des chiffres effarants.

Le Soudan dans les années 2010 aurait vendu 600 000 hectares de terres à des investisseurs américains pour une période de 49 ans pour la modique somme de 24 000 euros.

Que dit l’analyse économique face à une situation qui, épiphénomène hier, va s’amplifier car certains pays, ceux d’Afrique centrale, qui reste pour l’instant en dehors de ce vaste mouvement de vente des terres, y pensent de façon ferme afin de compenser la baisse des revenus liée à la rente pétrolière et à la mauvaise gouvernance économique ? Les terres arables achetées en Afrique sont consacrées soit à la production des produits alimentaires qui servent en priorité les investisseurs (Asie, Amérique latine, Pays du Golfe) pour leurs populations, soit l’Occident pour la production des biocarburants.

Selon le rapport de la coalition internationale pour l’accès à la terre, sur 1217 transactions dans le monde, 754 concernent le continent noir, soit 56.2 millions d’hectares, 17.7 millions pour l’Asie et 7 millions pour l’Amérique latine.

L’analyse économique permet-elle d’arbitrer entre les pro vendeurs des terres arables et les opposants à la vente ?

Ricardo, dans ses Principes de l’économie politique et de l’impôt (1772-1823), nous donne une partie de l’explication des tenants de la vente des terres arables. Le détour par Ricardo est intéressant car il est à la fois théoricien et spécialiste de l’économie appliquée.

Son raisonnement est au cœur de la pensée économique moderne. Pour Ricardo, la question de la valeur de la terre est d’une modernité étonnante. Au XVIIIième siècle, la valeur de la terre entraîne la question de la répartition du revenu. Les propriétaires fonciers étaient rémunérés sous forme de rente, les capitalistes en profit et les salariés sous forme de salaires naturels. Transposée à la problématique actuelle des terres en Afrique, les propriétaires sont les Etats africains, les capitalistes sont les Etats occidentaux et les salariés sont quelques nationaux des pays africains et les étrangers appartenant aux Etats occidentaux ou asiatiques. Pour Ricardo, la loi des rendements décroissants et la faible productivité agricole faisaient de la terre une non-valeur en privilégiant le commerce international des produits manufacturiers au nom de la théorie des avantages comparatifs.

Les pays africains, ne produisant rien, ont fait de la terre un bien « manufacturable » que l’on peut échanger. C’est la thèse des pro vendeurs. Les opposants à la vente qui s’appuient sur les travaux de Karl Marx (1818-1883), estiment que la valeur d’usage est plus importante que la valeur d’échange par l’intermédiaire de la valeur travail.

La critique de Marx au cœur du comportement des opposants à la vente des terres par les Africains

Pour Karl Marx, la valeur d’usage est plus importante que la valeur d’échange des biens, même s’il ne sous-estime pas le caractère fétichiste de la valeur d’échange et donc de la monnaie. Au-delà du débat académique qui reste inépuisable sur la place de la monnaie dans la pensée de Marx, force est de constater que les opposants à la vente des terres valorisent des éléments comme l’environnement, le Développement durable, la non prise en compte de la réglementation par les Etats occidentaux.

La dénonciation est aussi politique car les opposants à la vente mettent en avant l’absence de transparence dans les transactions financières, l’existence de régimes fiscaux avantageant les Etats occidentaux et asiatiques considérés comme des prédateurs. La valorisation des biocarburants et de l’exploitation des minerais sur les terres acquises accélère les mécanismes de spéculation financière, la terre devient un outil de placement et il y a fort à parier qu’une bourse de transaction émerge dans les années futures. On voit donc que la relation économique des contrats mettant en relation la notion de Principal (Occident, Asie)/Agent (pays africains) se fait en faveur de l’Occident. La vente des terres arables serait-elle un obstacle à l'émergence d'une auto-suffisance alimentaire des populations africaines? Le débat est ouvert.