Pour comprendre l'affaire Skripal, il faut remonter au 4 mars. Ce jour-là, l’ex-espion russe Sergueï Skripal et sa fille Youlia sont retrouvés inconscients sur un banc public de la ville de Salisbury au sud du Royaume-Uni. Immédiatement conduits à l’hôpital, l’enquête policière dévoile qu’ils ont été victimes d’un empoisonnement par administration d’un agent innervant.

  • Le saviez-vous ? Cet empoisonnement a également fait une autre victime : l’officier de police arrivé le premier sur les lieux a également transféré d’urgence à l’hôpital.

Très vite, Moscou est soupçonnée par Londres. Lundi 12 mars, Theresa May a déclaré devant le Parlement britannique qu’il était probable que la Russie soit responsable de l’empoisonnement de l’ex-agent russe.

Lors de son allocution, Theresa May laissait jusqu’à mardi soir pour que Moscou s’explique. Un ultimatum rejeté par le Kremlin, considéré comme une provocation, un « numéro de cirque ».

C’est le 14 mars que l’affaire prend de l’ampleur. Face au silence de Moscou, Theresa May annonce la suspension des contacts bilatéraux et l’expulsion de 23 diplomates russes. Jusqu’à présent, 59 diplomates accrédités étaient présents sur le territoire britannique. En outre, Mme May a déclaré qu’aucun membre du gouvernement et de la famille royale ne se rendra en Russie dans le cadre de la Coupe du monde de football qui aura lieu du 14 juin au 15 juillet.

La Russie coupable ?

Pourquoi la Russie aurait-elle envisagé de tuer l'un de ses ex-espions ?

Tout simplement pour punir celui-ci d’avoir trahi son pays. En effet, Sergueï Skripal, agent des services de renseignements de l’armée russe est recruté par les services de renseignements britannique en 1995. A partir de ce moment-là, il fournit l’identité de plusieurs agents russes opérant en Europe. En 2004, il est arrêté par le Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie et est condamné pour haute trahison et emprisonné.

Mais en 2010, faisant l’objet d’un échange d’espions entre Moscou, Londres et Washington, Skripal est libéré et s’installe au Royaume-Uni.

Pour Londres, il n’y a donc pas de doute, la Russie est forcément mêlée à cette tentative de meurtre. La preuve : le type d’agent innervant utilisé. Celui-ci appartient à la famille des Novichok -nouveau venu en russe-, un ensemble de gaz innervants créés par l’union soviétique dans les années 70-80 par l’institut public de chimie organique et de technologie, aujourd’hui spécialisé dans la destruction des stocks d’armes chimiques russes.

Aucune autre origine n’est connue pour ces agents. D’ailleurs, pour Vil Mirzaïanov, l’un des pères des Novitchok installé aujourd’hui aux Etats-Unis, la Russie est le seul pays « capable de produire et déployer un agent innervant aussi puissant et pratiquement incurable ».

La conclusion est donc rapide : pour les diplomates britanniques, soit l'État russe est responsable de l'attentat, soit il a laissé s'échapper une partie de son stock de Novitchok.

Les Novitchok : une véritable arme chimique russe

La substance utilisée pour assassiner Sergueï Skripal est un gaz innervant. Cela signifie qu’il agit directement sur le système nerveux, c’est le cas par exemple du gaz VX utilisé pour tuer le frère de Kim Jung-un en février 2017 ou du gaz sarin qui a servi lors de l’attentat du métro de Tokyo en 1997.

D’après Mirzaïanov, « un demi-gramme suffit pour tuer quelqu’un de 50 kilos. » Les effets du gaz sont rapides : l’individu à qui l’on administre l’agent voit sa vision altérée. Il est ensuite pris de convulsions et ne peut plus respirer.

En utilisant cette arme chimique, la Russie ne respecte pas la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, dont elle est signataire depuis 1997. En effet, cette convention interdit « l'emploi d’armes chimiques, la fabrication, l'acquisition, le stockage, la conservation et le transfert de ces armes, en plus d'exiger tant leur destruction que celle des installations où elles sont fabriquées. »

Enfin, en intervenant directement sur le sol britannique, la Russie porte atteinte à la souveraineté britannique et viole la Charte des Nations Unies, l’article 1 insistant sur « le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde » et l’article 2 sur le fait que l’ONU est « fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses Membres.

»

Dans le cadre de cette affaire, Londres a tout de suite eu le soutien de Washington et de Paris. Pour ces pays, la situation est préoccupante : il s’agit en effet de la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale qu’un agent innervant est utilisé dans un lieu public sur en Europe.