La crainte de voir apparaître en Asie du Sud-Est une sphère d'influence chinoise d'où seraient exclus les États-Unis explique la stratégie de pivotement de la flotte de combat américaine de l'Atlantique vers le Pacifique. Cette décision est intervenue fin 2010, deux ans après la première élection d'Obama à la présidence des États-Unis. Elle en dit aussi long tant sur le retrait d'Irak et d'Afghanistan que sur le retournement de la politique extérieure des États-Unis : Obama était en 2008 favorable à une politique de conciliation avec la Chine. Il semble avoir évolué, même si la récente rencontre avec Xi Jinping, au printemps 2013, s'est achevée sur des marques d'amitié.

Une certaine agressivité verbale de la Chine envers ses proches voisins, déjà tétanisés par leur dépendance économique à son égard, a pu contribuer à cette inflexion vers une stratégie d'endiguement, mais elle n'en est pas le facteur principal.

Sans qu'il y ait d'alliance formelle, des échanges conjoints s'organisent, du Japon jusqu'à l'Inde en passant par les Philippines, l'Indonésie, l'Australie, le Vietnam et la Thaïlande. Les rnarines américains s'installent discrètement en Australie. Déjà opéré à la fin du mandat de George Bush, le renversement de la politique des États-Unis vis-à-vis de l'Inde en matière de coopération nucléaire (civile), en contradiction avec le traité de non-prolifération que celle-ci n'a jamais voulu signer, indiquait déjà un rapprochement stratégique américano-indien.

Les mers et les détroits qui donnent accès à la façade orientale de la Chine sont d'un intérêt vital pour Pékin qui englobe naturellement dans ses préoccupations le Pacifique occidental.

Montée des arsenaux nucléaires en Asie

Dans ce contexte, la Chine, mais aussi l'Inde et le Pakistan, se nucléarisent à des fins de dissuasion.

Le cas de la Corée du Nord est plus préoccupant, à la fois par son irrationalité apparente, par son agressivité, ses gesticulations et les risques de prolifération qu'elle fait courir au reste du monde. Seule la Chine peut contenir Pyong Yang. Encore faudrait-il concevoir une solution politique, fût-elle à très long terme. S'agissant de la Chine, l'arsenal nucléaire dont elle se dote vise à maintenir la possibilité théorique d'exercer une riposte à la frappe nucléaire d'un agresseur éventuel, donc à lui interdire d'emblée tout chantage nucléaire.

Mais la montée des tensions en mer de Chine, avec un Japon soucieux d'accroître sa capacité de défense, et la sourde rivalité qui se laisse deviner entre les deux puissances asiatiques milliardaires en hommes, constituent un fond de tableau qui n'est pas sans rappeler la situation de l'Europe avec la Première Guerre mondiale. Le livre blanc chinois sur la défense (2011) peut bien proclamer la nécessité de relations fondées sur la confiance mutuelle, l'inquiétude est là. Sans doute ne faut-il pas exagérer la menace militaire chinoise. Entre la Chine et les États-Unis, le rapport des budgets de défense est encore de un à sept ! Les Chinois ont beau jeu d'ironisé sur la menace que ferait peser, sur un homme armé d'un fusil, un autre ne possédant qu'un couteau, dont le premier fustigerait le bellicisme !

Un avenir incertain

L'étude des années qui ont précédé la Première Guerre mondiale montre cependant comment le monde peut, sans en avoir conscience, se laisser dériver vers des catastrophes d'autant plus évitables qu'elles paraissent improbables. Les États-Unis ne veulent certainement pas se laisser entraîner dans une guerre nucléaire. Le président Obama s'est prononcé pour « un monde sans armes nucléaires ». Mais, sans mettre en doute sa volonté sincère de réduire les arsenaux nucléaires, nous savons bien qu'il s'agit là de rhétorique. Barack Obama le dit lui-même : tant que d'autres puissances disposeront de telles armes, il n'est pas question que les États-Unis renoncent à la dissuasion.

La proposition qu'il avance de réduire d'un tiers le nombre des têtes nucléaires déployées (de 1 500 à 1 000) occulte l'existence de milliers de têtes non déployées, en Russie aussi bien qu'aux États-Unis.

À ce jour, aucune des deux voies préconisées par la conférence d'examen du TNP (2010) pour réduire les arsenaux nucléaires n'a été suivie : ni le traité prohibant les essais nucléaires nécessaires à la mise au point de nouvelles armes, ni l'interdiction de fabriquer des matières fissiles à usage militaire. En réalité, les États-Unis ne veulent pas d'une guerre nucléaire, mais admettent des guerres conventionnelles limitées, avec des armes de très haute technologie, qu'ils sont d'ailleurs les seuls à pouvoir mener (ainsi avec des missiles intercontinentaux dotés de têtes conventionnelles à forte puissance, selon le concept du « prompt global strike ».