On peut comprendre… Que le dessin de Félix n’ait fait sourire personne, que ce soit en France ou en Italie, est une chose. Qu’on en fasse si grand cas, une autre. Charlie, lointain héritier du mensuel Hara Kiri – « journal bête et méchant » – peut avoir des ratés. Si Félix a voulu faire allusion à la campagne de solidarité des restaurateurs versant à la Croix Rouge deux euros pour chaque plat de pâtes all’amatriciana, c’est moyennement réussi: des lasagnes alla matriciana sont parfois servies, mais on attend plutôt cette sauce sur des bucatini.
J’admets donc que l’allusion ne m’était pas venue d’emblée à l’esprit. Pas de quoi en faire tout un plat ou que le cuistot secoue les nouilles.
Précédents en tous genres
Sur le site de l’hebdo, Coco en rajoute sugo, ouragu bolognese. « Italiens… c’est pas Charlie qui construit vos maisons, c’est la mafia». Ce fut vérifié encore en avril 2009 (308 morts), à L’Aquila (déjà plus lourdement frappée en 1703), et depuis en maints endroits (trois fois en 2012), et tout récemment à Amatrice. Des édifices publics censés avoir été mis aux normes se sont effondrés, de même que des maisons individuelles dont les propriétaires avaient réglé de lourdes factures pour respecter les règles antisismiques… Exemples: une école, la caserne des pompiers, ou le campanile sur lequel avait œuvré un entrepreneur déjà poursuivi pour malfaçons à L’Aquila (il avaitcette fois détourné 58000 euros).
À propos de peu ragoûtant ragu alla bolognese, se souvient-on de l’attentat de la gare de Bologne (85 morts–août 1980), et du dessin de Cabu? « Miracle à Bologne: un cul-de-jatte reçoit deux jambes dans les bras!». Refaire un bal tragique en gare de Bologne-les-trois-basiliques aurait fait réchauffé, mais Cabu y avait peut-être songé.
Après l’attaque contre la rédaction, je me suis longuement repenché sur la perception (le ressenti) et la réception (son expression publique) du phénomène Charlie à l’étranger. Des intellectuels nord-américains se sont refusés à témoigner de solidarité à l’égard d’un titre estimé islamophobe, divers médias de par le monde occidental ont préféré ne pas reproduire la couverture de l’hebdo.
Charlie n’est pas une exception française. Si l’on remonte loin dans les traditions de la Presse satirique internationale, on retrouvera, notamment chezdes titres anticléricaux ou, inversement, pour l’alliance du sabre et du goupillon, bien pire que ce produisent les héritiers de Charb, Cabu, Tignous ou Wolinski. Dans la religiophobie, la xénophobie ou l’exécration des adversaires sociaux ou politiques, si tant était qu’elle soit un poil nasal xénophobe, l’équipe de Charlie, comparativement, évoque les enfants de Marie immaculée (« aux poitrines naissantes barrées du ruban virginal») fricotant avec ceux du chœur en des recoins de sacristie (Ah, le « tout-sauf-tout» sur le banc de l’organiste!).
L’Italie, c’est caca, résumait une couv’ de l’hebdo lors des grèves des éboueurs. Oui, tout comme la France est cracra, elle qui rote, défèque, expectore, et se lave trop peu souvent sous les bras.
À suivre... ou pas
Les outrances de Charlie relèvent-elle de la vulgarité ou de la vulgarisation? Souvent des deux, mais elles s’insèrent dans un contexte, un contenu rédactionnel varié, contrasté, parfois touffu mais de plutôt bonne tenue. Le vulgaire consiste à isoler un élément, une caricature, et de faire une poutre d’une paille.
L'humour noir peut faire rire, rarement sourire, ou n'avoir pas la moindre prétention à divertir. Ni même celle de porter à réfléchir. Le « comique rêche » qu'évoqua Huysmans est parfois gratuit, oiseux, abscons, non transposable (nombre de caricatures algériennes après les séismes d'Alger, Oran, Bejaïa, me sontrestées hermétiques).
Après Fukushima, l'ambassade japonaise protestaà propos de deux clips des Guignols de l'info. La presse n'en aurait fait qu'une brève si après le tsunami, des JO avaient suiviun Euro de foot. Sic transit le dessin de Félix, ses lasagnes ont déjà refroidi.