Englué en Penelopegate qui finira – du fait de la "hauteur", passant pour de la morgue, de François Fillon – par générer de véritables manifestations d'ampleur, le candidat LR a sans doute réagi comme le prévoyaient les communicants d'Emmanuel Macron. La stratégie de ce dernier consiste d'abord et avant tout à faire de l'image, mais aussi à détériorer par la bande celle de ses adversaires. En réunion publique, pas un mot de travers, juste des allusions, plus ou moins limpides. Avec le coup de la colonisation "crime contre l'humanité", certainement mesuré, calibré, pour ne pas trop perdre d'électeurs au centre et en grappiller quelques autres au centre-gauche, Emmanuel Macron a sans doute obtenu le résultat attendu.

Il suffisait à François Fillon (soit en personne, soit en chargeant un porte-parole de le faire pour lui) de déclarer que toute exagération d'un sujet prêtant à controverse mène à l'excès. Et que tout ce qui est excessif est insignifiant. Mais non, à Compiègne, au lieu de manier, sans trop d'insistance, l'ironie, François Fillon a sorti les grands mots, s'est déclaré outragé. Ce qu'a dit Macron à la chaîne algérienne Echourouk News n'est plus l'expression d'un candidat disant "simplement ce que ceux qui l'écoutent veut l'entendre". Cela aurait suffi amplement. Non, il a fallu à François Fillon fustiger une "détestation de notre histoire", et une "indigne repentance permanente". Admirateur du défunt Pierre Messmer, militaire mais aussi ancien gouverneur général, colonisateur certes moins doué qu'un Lyautey mais efficace en matière de répression, François Fillon a cru habile de faire vibrer l'assistance tel un Nicolas Sarkozy.

On comparera avec les propos de Valérie Pécresse : "il n'y a pas de profondeur historique dans la pensée politique d'Emmanuel Macron". Ce n'est pas forcément évident, car entre ce que déclare Emmanuel Macron (ou d'autres candidats) et ce qu'il peut penser en son for intérieur, peuvent exister quelques hiatus, mais c'était bien envoyé.

La réalité, sur le fond, est que la colonisation en Algérie, en Afrique, en Indochine, fut entachée de crimes, auxquels ont répondu d'autres crimes. Mais il reste que, à l'indépendance, l'Algérie était le pays le mieux équipé, le mieux structuré, avec la population la mieux éduquée, de tous les pays non-alignés, avant même l'Inde ou la Chine d'alors.

Est-ce vraiment cela dont il est fondamentalement question lors d'une campagne électorale ? Qu'il soit permis d'en douter.

Comparaison raisonnée

Le but n'était-il pas de prendre à chaud François Fillon ? D'espérer qu'il dépasse en expressions indignées les réactions venant du Front National ? Marine Le Pen a considéré que fustiger son pays en déplacement à l'étranger n'était pas la marque d'un candidat à la présidence de la République. Florian Philippot a mis en avant le legs de la France à l'Algérie. Mais remarquez aussi la réaction de Rama Yade qui met simplement en garde Emmanuel Macron : faire la pluie, "ça mouille". François Fillon, engoncé dans le Penelopegate, se pose en donneur de leçons avec des argumentations que ne désavoueraient pas la vieille garde du FN.

Phase suivante des éléments de langage d'Emmanuel Macron ? Faire oublier ses excès de langage, se montrer aussi sécuritaire (ou davantage) que d'autres concurrents (nouvelles prisons, tolérance zéro, &c.), dire "il faut nommer ce qui a été fait de mal, et reconnaître ce qui a été fait de bien", se concilier partie de l'électorat de gauche échaudé par le débat sur la déchéance de la nationalité, mais surtout laisser entendre, à demi-mots, que François Fillon en est réduit à racoler une frange de l'électorat de Marine Le Pen. CQFD. De plus, le Front national aura beau jeu de ressortir l'argument "préférez l'original à la copie". Avec toute la considération que l'on doit aux Angevines et aux Manceaux saboliens, disons que François Fillon était parfait pour représenter Sablé. Pour faire du Sarkozy, il faut être Sarkozy. Un batelier n'est pas de la Marine.