Par communiqué expédié aux agences de presse en plein milieu du temps de parole de François Fillon à Aubervilliers, le parti Les Républicains a avancé à lundi la réunion de son comité politique. Il était prévu pour mardi. De deux choses, l'une : soit la décision est déjà prise, soit elle dépendra des succès ou échecs des rassemblements de dimanche. Il y a celui, pro-Fillon, de la place du Trocadéro, et ceux, à Paris, place de la République, et en province (une vingtaine de villes) de la coordination Stop Corruption. Une coordination quelque peu improvisée encore, mais dont l'intitulé du groupe parisien est désormais "Rassemblement pour le respect du peuple, de la justice et de la presse".

Les succès ou échecs des divers rassemblements ne s'évalueront pas qu'au nombre des participants, mais à leur nature, leurs propos. À Aubervilliers, François Fillon a enchaîné citations de grands personnages et lieux communs. Mais il a aussi glissé un "les élites sont souvent plus conservatrices et plus prudentes que les Français". L'inverse, l'histoire l'a démontré, est tout aussi vrai. Mais ce qui fut remarqué surtout, outre les absents (tel Xavier Bertrand qui ne sera pas non plus demain au Trocadéro), ce fut l'intervention de Bruno Retailleau qui a chauffé la salle, fait huer les magistrats. Ce qui est aussi clair, c'est que François Fillon a pris connaissance de la tenue du comité politique comme tout le monde, par la presse.

Le "challenger" populaire mouché

Ghislaine Ottenheimer, redchef de l'hebdo Challenges, a recadré le parcours de François Fillon, "élu de l'arrondissement le plus huppé de France" et proche, très proche, de tout le gotha et des plus grands patrons de la finance et de l'industrie. Le carnet d'adresses de François Fillon, c'est les plus longues entrées du Who's Who.

Et le voilà donc se posant en victime, conviant un micro-parti d'extrême-droite qui sera au Trocadéro pour dénoncer "l'oligarchie cosmopolite" (entendez aussi interlope, apatride, &c.). Ainsi qu'elle le résume, "François Fillon cautionne-t-il ces comportements de caniveaux ?". Fillon, "porte-parole du peuple face aux élites ?

". Et applaudi par Henri de Castries, Pdg d'Axa ? C'est du Donald Trump dénonçant la filière immobilière, le sport professionnel ou les propriétaires de golfs. Le peuple contre les 35 heures, les comptes pénibilité, la retraite aux deux-tiers de l'espérance de vie ? C'est du Trump dénonçant l'Obamacare… L'édito de Ghislaine Ottenheimer (en accès libre sur le site de Challenges), puisant aux meilleures sources documentaires et autres, "Non, Monsieur Fillon, vous n'êtes pas une victime", résume aussi le sentiment d'une très forte partie du parti LR et de l'immense majorité des sympathisants de l'UDI. Outre le Penelopegate, c'est l'imposture du candidat qui divise son ancien camp, la base. Aux sommets, c'est la perspective d'une défaite ou d'une victoire à la Pyrrhus qui ne profiterait qu'à un clan restreint.

Mais base et sommets n'ont guère le choix. Comme le dit Daniel Fasquelle, trésorier de LR, au Figaro : "aucune solution ne peut être envisagée en dehors d'un accord avec François Fillon". Il dispose des fonds de son micro-parti, Force républicaine, de neuf millions d'euros récoltés lors des deux tours de la primaire (quatre euros par participant), soit plus que la trésorerie de LR, parti fortement endetté. De quoi se maintenir, même si un autre candidat, soutenu officiellement par LR et l'UDI était intronisé. Pour Valeurs actuelles, le rendez-vous du Trocadéro se voudrait "contre le coup d'État des juges". De quoi faire passer François Fillon pour un justiciable factieux. Et c'est pourquoi le courant Sens commun, qui devait organiser la manifestation, a passé la main à Pierre Danon, un grand patron, qui laissera les partisans du candidat "antisystème" "exprimer leur colère". Oui, mais aux Docks d'Aubervilliers, les colériques n'ont rempli que le tiers de la salle. Les transports n'avaient pas été payés... Fillon garde la cagnotte.