« Ma liberté s’arrête où commence celle d’autrui. » Un propos lourd de sens, qui figure dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, date de la révolution française, scellant l’essor de la démocratie.

Il est à l’aulne d’une valeur citoyenne forte, celle qui vise à se restreindre en communauté aux fins de ne pas empiéter sur la liberté de l’autre, de ne pas malmener l’intérêt de groupe au seul profit de sa considération personnelle. En ces temps de grèves quasi insurrectionnelles, ce précepte de notre société moderne sonne comme un écho résurgent.

Car en effet, le curseur est à placer selon le point de vue emprunté.

Le droit de grève en notre belle République est un droit à valeur constitutionnelle (alinéa 7 du Préambule de la Constitution de la Quatrième République) depuis la décision Liberté d’association rendue le 16 juillet 1971 par le Conseil constitutionnel. Il est réputé acquis, qu’en cas de désaccord profond avec son employeur, « la cessation collective, concertée et totale » ( Arrêt du 2 février 2006 de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation) en vue de faire entendre ses revendications est parfaitement licite. Ainsi, animés par un désir commun d’expression de leur mécontentement, ayant trait à leurs conditions de travail ou d’exercice de leurs missions, des salariés ont la faculté de pénaliser par un immobilisme total, les intérêts de celui qui en est à l’origine.

Seulement voilà ; si l’employeur est effectivement impacté par la cessation complète de la productivité émanant de l’accomplissement des tâches professionnelles des grévistes, il n’en demeure pas moins que lorsqu’il s’agit d’un service public, par définition un service offert à l’intérêt commun, celui-ci n’est plus le seul à en subir les affres.

Quelle limite y-a-t-il lieu de fixer aux fins de garantir la Liberté?

Est-ce juste, de considérer qu’autrui, pris en étau, entre des revendications qui, certes, peuvent paraitre parfaitement légitimes, et exprimées par le droit de grève, et ses obligations personnelles ou professionnelles, ne voit pas sa liberté personnelle atteinte ?

Doit-il accepter le fait de ne pas pouvoir user de sa propre liberté, considérant les revendications exprimées, initiatrices d’un blocage du trafic ferroviaire, aérien ou autres moyens de locomotion, et l’empêchant de fait de pouvoir se rendre à son travail ou de pouvoir satisfaire une obligation médicale ? Ce, alors que sa velléité de déplacement émanait de sa volonté intrinsèque et donc d’une décision issue de son libre arbitre ?

Doit-il considérer que l’intérêt collégial, celui à l’origine du blocage, est supérieur au sien, et donc s’y plier, ou au contraire, que le fait de l’empêcher de pouvoir travailler, aller et venir librement et circuler où bon lui semble est liberticide ? Un étudiant non gréviste, se voyant refuser par des étudiants grévistes, l’accès aux sites universitaire ou aux salles d’examens, au motif de l’intérêt commun, doit-il considérer la grève comme un « mal nécessaire » ou au contraire a toutes les raisons de qualifier ce procédé d’atteinte à ses libertés ?

Il n’est pas question de revenir à la loi dite « Le Chapelier » promulguée le 14 Juin 1791 sur proposition du député éponyme, qui dans son discours devant l’Assemblée indiquait qu’« Il doit sans doute être permis à tous les citoyens de s’assembler ; mais il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s’assembler pour leurs prétendus intérêts communs ; il n’y a plus de corporation dans l’État ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de chaque individu, et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de corporation. »

Mais si le droit de grève doit demeurer un droit inaliénable, il ne faut pas pour autant que la liberté individuelle y soit sacrifiée sur son autel.