Contrairement à ce que nous estimions, François Fillon n'a pas roulé majoritairement pour le Front National. Certes, des voix lui étant acquises avant le Penelopegate sont allées se reporter sur Marine Le Pen, ce en dépit du pillage des budgets européens par le Front national. Mais la déperdition et le rejet ont aussi profité à de multiples candidats, dont… Jean-Luc Mélenchon. Marginalement, mais c'est notable. En fait, les deux facteurs qui ont provoqué la déroute du candidat de la droite "ex-républicaine", Sens commun et le Penelopegate, ont surtout placé votes blancs et nuls en septième position – juste dernière Nicolas Dupont-Aignan (4,7% des votes valides) – avec 2,55 % des exprimés (1,78+0,77), soit un total de… 944 733 suffrages, qu'il convient véritablement de cumuler.
Car très peu de votes nuls n'ont été dus qu'à la méprise ou l'ignorance des règles (comme ces traces de rouge à lèvres sur un bulletin de Jean-Luc Mélenchon). Que ce soit le billet de 50 euros barré d'un "pour Penelope", ce camembert dessiné sur un bulletin, ce vote pour Gygy, un chien "fidèle et pas menteur", une publicité pour un produit de nettoyage, et tant d'autres exemples, il s'agit d'un vote protestataire. Le nombre des votes blancs interpelle d'autant plus qu'un bulletin formé d'une feuille A4 blanche pliée est catégorisé nul tandis qu'une enveloppe vide vaut un vote blanc. L'abstention est plus difficile à analyser : des courants libertaires prônent une abstention contestataire (et pour le second tour, des électeurs France insoumise vont opter pour l'abstention en guise d'alter-vote).
Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas près d'un cinquième des inscrits qui a voté pour Emmanuel Macron ou Marine Le Pen et que l'adhésion de la population à leurs projets ou leur personne (si on cumule abstention, votes blancs et nuls) reste incertaine et insondable.
Marine Le Pen fragilisée
Même si, à première vue, le Penelopegate n'a que peu affecté le vote pour le Front national, ses partisans résolus faisant la distinction entre enrichissement personnel et financement du FN, ce fut sans doute tout autre par ricochet.
Des indécis qui auraient pu voter Le Pen se sont réfugiés dans l'abstention ou dans ces "voix perdues", comme on les désignait autrefois. En revanche, selon les dires mêmes du candidat LR, rapportés par Le Canard enchaîné, et divers ténors de sa formation, le poids pris par Sens commun depuis la manifestation du Trocadéro a plombé la campagne de François Fillon.
Son discours du Puy-en-Velay aurait pu être prononcé par Marine Le Pen à l'identique (c'était la France, la France, la France rebondissant tel un cabri). Or, Sens commun, qu'Estrosi veut bouter hors de LR, semble plus faire campagne contre Emmanuel Macron que pour conforter Les Républicains lors des législatives, exactement comme La Manif pour tous. Aux lendemains de l'hommage national rendu à "l'abominable" (car homosexuel) capitaine Xavier Jugelé, le soutien de Christine Boutin (pour qui l'homosexualité est "une abomination") à Marine Le Pen pourra se traduire certes par des voix pour la candidate du FN, mais aussi par l'abstention et des votes blancs ou nuls. Or, Marine Le Pen doit aussi penser législatives, et ne peut de ce fait risquer de s'affranchir trop nettement de ces pesants soutiens.
L'appel du pied de la direction du FN à l'électorat de Mélenchon sera sans doute contrebalancé par celui de Marion Maréchal-Le Pen qui voit en Sens commun "un jeune courant politique très prometteur". Christine Boutin et La Manif pour tous font d'Emmanuel Macron le candidat "anti-famille". Pour le moment, contrairement à Marine Le Pen, il n'a pas divorcé, ni une, ni deux fois. Marine Le Pen appelle à "choisir la France", celle des clochers, des crèches municipales, des sapins de Noël, des galettes des rois et des œufs de Pâques ? Cela, c'était hier. En démissionnant du FN, en escamotant le logo du parti de ses affiches, en s'affranchissant du slogan "au nom du peuple", la candidate semble vouloir se libérer d'alliés encombrants.
Mais les affaires du FN et un positionnement trop peu marqué France catholique traditionnelle (voire intégriste et "ligueuse") peuvent lui coûter des voix qui ne profiteront sans doute pas à son adversaire mais pourraient aussi manquer lors des législatives. Cela devrait se vérifier notamment dans les deux départements alsaciens où le vote FN n'a que peu progressé, bien en-deçà des prévisions. Que ce soit Jean-François Jalkh, présumé proche des négationnistes de l'Holocauste et des nostalgiques du maréchal Pétain, qui assure son intérim à la tête du FN, ne va sans doute pas séduire non plus l'électorat de France insoumise, si convoité par la faction mariniste de la direction...