Il y a un mois, le 6 février à 4h17 un premier séisme de magnitude 7,8 avec quelques heures plus tard un second de magnitude 7,5 et plus de 11 000 répliques les jours suivants, ont dévasté le sud de la Turquie (sur une superficie de 20 000 km²) et une partie de la Syrie. Des milliers de personnes surprises dans leur sommeil et piégées, mortes et vivantes, par des immeubles qui se sont effondrés les uns après les autres.

En Turquie, le président de la République Recep Erdogan décide néanmoins de maintenir la date des élections présidentielle et législatives pour le mois de mai prochain quand ses compatriotes pleurent encore leurs morts et font face aux graves conséquences de ce désastre sur leur présent et leur avenir.

Un cauchemar et des douleurs incommensurables

Les autorités turques ont engagé une grande opération de nettoyage et tentent de mettre de l'ordre dans les zones dévastées. Des pelleteuses et des camions bennes se relaient nuit et jour pour évacuer les décombres de cette catastrophe soulevant sur plusieurs kilomètres à la ronde des colonnes de poussières à perte de vue. Des amas de ferrailles et de béton, des tonnes de gravats, des plaques entières de ciment sont évacués en continu. Des odeurs nauséabondes se dégagent encore des décombres de ce sinistre chantier (214 000 bâtiments détruits ou condamnés, 11 sur les 81 provinces du pays touchées).

À part les ruines, plusieurs immeubles et habitations lézardés, constituent encore un grand danger pour des milliers de rescapés placés dans des hébergements de fortune et souvent contraints de revenir à leurs logements d'avant le séisme pour récupérer tant bien que mal leurs biens, courant ainsi de gros risques à chaque visite.

Selon le gouvernement, 2 millions de rescapés, les plus relativement chanceux, ont trouvé asile sous des tentes ou dans des conteneurs installés dans les stades et les parcs. Mais la demande est bien supérieure à l'offre. Les moins chanceux d'entre eux n'ont d'autre choix que de regagner, à leur risque et péril, leur domicile endommagé.

Certains ont migré vers d'autres villes et même vers les champs et les montagnes. Des aides alimentaires sont distribuées mais les sinistrés rencontrent beaucoup de difficultés pour se procurer du combustible. L'approvisionnement en eau potable, une problématique également logistique pour ces rescapés du drame.

La colère plus forte que la tristesse

Les dégâts provoqués par ces séismes et secousses dépasseraient en Turquie les 34 milliards de dollars, soit 4 % du PIB sans compter le coût de la reconstruction estimé à plus de 70 milliards de dollars. Des poursuites judiciaires ont été engagées dans le secteur du bâtiment, une opinion publique en colère et très probablement de lourdes conséquences politiques à quelques semaines de ces élections présidentielle et législatives.

Le président Recep Tayyip Erdogan a promis la construction en un an de plus de 450 000 logements dans le respect des normes antisismiques. 500 millions € ont été déjà versés à près d'un million de rescapés. Il a également annoncé le versement de l'équivalent de :

- 5 000 € aux proches des personnes décédées,

- 750 € au titre de la réinstallation.

Un pouvoir affaibli par le séisme

Mais toutes ces mesures n'arrivent pas vraisemblablement à convaincre et à changer le climat politiquement lourd dans les zones meurtries par ce drame. Les turcs iront donc voter mi-mai. L'opinion publique reste partagée. Certains attendent ces élections et comptent bien y participer pour s'exprimer contre ce qu'ils qualifient de désorganisation, d'incohérence, de désordre, de retards, de manquements et de défaillances dans la gestion de la crise et de là tiennent fermement à s'exprimer contre l'actuel gouvernement. Ils ne sont pas prêts d'oublier encore plus de pardonner.

D'autres moins nombreux, jugent à l'opposé que le moment n'est pas à la politique. Ils estiment que leurs compatriotes ont perdu leurs parents, enfants et certains n'ont même pas pu les enterrer.

Pour ces gens là, ce scrutin est le dernier de leurs soucis et ne veulent ni y penser ni en discuter.

Ils regardent plutôt à cet immense chantier, ces paysages de gravats à perte de vue, ces camps, ces tentes de fortune et leur unique préoccupation, la survie. Comment et de quoi survivre et également comment reconstruire cette vie urbaine décimée. Il veulent faire un bilan, se corriger mutuellement pour ne plus tomber dans les erreurs du passé. Une catégorie dont la majorité relèverait des fiefs de l'AKP au pouvoir. Des fidèles qui sont même prêts à pardonner.

Erdogan ou Kiliçdaroglu

Au pouvoir depuis vingt ans et candidat à sa succession, Recep Erdogan fait paradoxalement, de sa politique de reconstruction, la colonne vertébrale de sa stratégie électorale pour le scrutin du mois de mai.

Cette élection s’annonce cependant pour ce fils de capitaine de navire comme étant la plus houleuse et la plus mouvementée depuis 2002, année durant laquelle son parti l'AKP obtient la majorité à la Grande Assemblée.

L’opposition turque unie au sein d’une très large coalition de six partis de la gauche à la droite nationaliste, a désigné ce lundi 6 mars Kemal Kiliçdaroglu pour l'affronter à la présidentielle. Des primaires en quelque sorte. Dirigeant du parti kémaliste CHP, il a été choisi pour tourner la page de plus de deux décennies de pouvoir d’Erdogan.

"Notre table est celle de la paix et de la fraternité. Notre objectif supérieur est de porter la Turquie vers des jours prospères, paisibles et joyeux.

En tant qu’Alliance nationale, nous gouvernerons la Turquie par la consultation et le consensus", a déclaré Kemal Kiliçdaroglu,

Mais, partisans, opposition ou encore électeurs pour ou contre, tous confondus, les pronostics ne sont pas évidents à ce stade post-séisme. Ce qui est par contre sûr c'est que cette fois-ci, Recep Tayyip Erdogan et de là son parti risquent gros. Les jeux restent ouverts. Duel à suivre.