Les singes sont paraît-il «en voie» d’extinction, mais pour les hamsters français, les cricetidæ européens encore en liberté, granivores principalement, espèce protégée en Alsace, c’est peut-être, voire assurément, trop tard. Dans tout le nord-est de la France, leur comportement a fortement évolué : ils ont vraiment le cerveau dérangé. Et pire, les femelles dévorent non plus les plus faibles, ressentis inaptes, mais toutes leurs portées. C’est une équipe de recherche placée sous la direction de Mathilde Tissier, de l’université de Strasbourg, qui a dressé le consternant constat avant d’en déceler la cause.

Elle tient en un mot : monoculture. Celle du maïs en particulier, que la ou le cricetus (hamster européen) consomme évidemment cru, et non en boîte, en tout cas en liberté. Les champs de maïs s’étendent à perte de vue et les hamsters ne migrent pas. Des spécimens ont donc été prélevés et répartis en deux groupes, les mangeurs de maïs, les consommateurs de blé. Les nourris au maïs ne survivent pas, ou très peu (5 %). Les mères, qui peuvent, même nourries aux grains de blé, tuer un bébé leur semblant déficient, à l’occasion, ont exterminé, au régime maïs, toute leur progéniture. Et puis, elles tournent en rond, inlassablement. Les femelles présentaient des langues noires et gonflées, leur sang était devenu très épais.

Bref, deux symptômes liés à la pellagre chez les humains. La pellagre conduit à la démence et même à l’anthropophagie. Cette maladie a sévi en France jusqu’en 1940, déjà en priorité en des régions consommatrices de maïs. Bizarrement, les Amérindiens n’étaient pas touchés : on a fini par comprendre que leur mode de préparation, consistant à faire bouillir le maïs, le réserver, puis le broyer et en faire une pâte destinée à des tortillas et tamales, faisait toute la différence.

Carence en vitamine B3

Qui dit pellagre dit carence en vitamine B3. Donc, les chercheurs formèrent deux groupes de hamsters nourris au maïs. L’un tel quel, l’autre enrichi en vitamine B3. C’est le second qui retrouva un comportement normal. Les autres s’enfonçaient dans la folie. L’ennui, c’est que l’épandage de vitamine B3 n’est pas envisageable.

Et que la fin de la monoculture du maïs, qui réduit trop fortement la biodiversité, n’est pas tout à fait pour demain. Gérard Baumgart, du Centre alsacien de recherche pour la protection environnementale, a étudié depuis plus de dix ans l’évolution des cultures, constatant la régression de celles de céréales et de légumes vivaces, et la montée en parallèle de celle du maïs. Il faudrait cultiver plus de luzerne et de trèfle, davantage de blé d’hiver. Il est aussi suggéré de moissonner différemment, et même de laisser des terres en chaume. Mais il n’est pas sûr que la réintroduction d’une certaine dose de biodiversité suffise à enrayer le déclin des hamsters français. Resterait la solution de favoriser la création d’élevages… Pour exploiter les fourrures.

Mais, là, des protecteurs des animaux pourraient fort bien libérer les charmantes petites bêtes, les vouant ainsi à une mort inéluctable, et à leur extinction. Cruel dilemme. Sauver les hamsters risque de relever de la gageure. Cela commence par les hamsters, cela finit avec les humains... En attendant, la vitamine B3 se trouve surtout dans les céréales, les volailles et le foie de veau.