Bertrand Virieux et François Devaux. Ils sont cofondateurs de La parole libérée. Et, avant tout, d'anciennes victimes d'un prêtre prédateur. Nous leur libérons la parole avec leurs propres questions et leurs propres réponses.

FRANCOIS DEVAUX: Quelles attitudes et réactions auriez-vous espéré du clergé et des fidèles de l’église ? Nous pensions voir la communauté entière se soulever fièrement et vaillamment pour défendre ses valeurs qui sont les racines de notre civilisation et notre culture. Notre nation occupe une place particulière sur l’échiquier mondial en matière de morale, de liberté d’expression, de droits de l’homme et de l’enfant.

Nous pensions que l’ensemble des membres de cette communauté (fidèles, bénévoles, prêtres) s’indigneraient ouvertement et prendraient courageusement position face à l’immoralité révélée et les attitudes insupportables des plus hauts membres de l’institution, les conduisant à quitter leur statut de représentants qui salit et jette le discrédit sur tous les prêtres. C’était à eux de défendre les valeurs morales de leur Eglise, se battre pour elle aux cotés des victimes. Ils ont pour les accompagner dans ce chemin un petit livre plein de métaphores fort enrichissantes. Nous avons été extrêmement déçus. Toujours le même malaise dans un silence glacial, le déni, la minimisation, une position de victime sur la défensive, pour finalement reconnaitre notre souffrance oubliant leur propre responsabilité de conscience individuelle.

Il leur faudra relire St Thomas D’Aquin.

Que pensez-vous du Pape François ? Là encore nous pensions trouver un allier indéfectible qui porterait nos couleurs avec une tolérance zéro fermement appliquée. Nous avons finalement trouvé un homme fuyant ses responsabilités de chef d’état, de représentant moral. Même le dernier rempart nous aura déçus.

Nombreux sont ceux qui pensent qu’il est mal informé. Nous ne sommes plus à un déni près… Je crois que les choses nous arrivent dans la vie avec une certaine fatalité. C’est ce qu’on en fait qui fait toute la différence. Sans doute n’est-il pas donné à tous d’être à la hauteur de sa destinée.

BERTRAND VIRIEUX: Si le Pape vous avait reçu, qu'auriez vous souhaité lui dire ? J'aurais aimé lui faire comprendre que notre combat contre ces brebis galeuses que sont ces quelques religieux déviants et criminels est aussi et avant tout le sien, qu'il doit agir comme un leader et chef incontesté d'une communauté de centaines de millions d'humains qui attendent que leurs enfants puissent grandir au sein de L'Eglise Catholique en toute sécurité, que protéger les enfants de ces prédateurs est une priorité essentielle car la défense de l'innocence et de la pureté d'un enfant est une valeur "cardinale" (si j'ose dire) du catholicisme.

J'aurais aimé lui dire qu'il prenne des décisions visibles d'autorité, ici et maintenant, pour répudier les hommes d'Eglise qui ont failli, que ce soient les criminels eux mêmes ou ceux qui les ont sciemment maintenus en poste. Et lui dire enfin combien ces enfants qui sont devenus adultes ne veulent plus que ces histoires sordides se pérénisent du fait d'une inertie et d'un laisser faire camouflés par de pseudo-décisions sans effet.

Auriez-vous pu vous engager de cette manière pour une autre cause ? Non, je ne crois pas : avoir vécu personnellement cette confrontation avec un prédateur pédophile étant petit, d'une part et ayant moi-même de jeunes enfants d'autre part, ont été des moteurs puissants pour un investissement total et enthousiaste mais il y a peu de chance qu'une autre cause, quelle que soit sa nature, puisse créer en moi une telle résonance et une telle motivation pour se lancer dans une pareille aventure humaine et médiatique qui nous marquera à jamais.

Il est difficile de renoncer à sa tranquillité, à son anonymat, surtout pour s'afficher comme victime et seule une conviction d'utilité issue de sa propre expérience personnelle a pu généré cette décision d'agir au nom de tous ceux que nous représentons.