François Fillon avait maintes fois répété que tout le Penelopegate n'était qu'une machination du "système", pilotant une "médiacratie" à la solde du "pouvoir" et qu'il allait porter plainte pour diffamation. Il a d'abord prudemment laissé s'écouler le délai de prescription, pour éviter un procès retentissant. Puis, alors qu'il aurait dû porter plainte en référé d'heure en heure, sans attendre la fin de campagne électorale, c'est n'est qu'après son éviction de la compétition, qu'il a invoqué "la propagation de Fausses nouvelles" ou la diffusion de "bruits calomnieux" au titre du Code électoral.

Les faits incriminés ne portent que sur l'édition du 12 avril du Canard enchaîné faisant état des emplois des enfants Fillon. Deux de ces "Messieurs" du Canard sont donc ce jour entendus par la police. Si jamais ils sont traînés devant un tribunal, ils n'auront guère de peine à démontrer la réalité des éléments de leur enquête portant sur les enfants Fillon et pourront répéter à l'envie que tout le reste est de surcroît véridique. Quant à l'issue de procès, elle ne fait guère de doute…

Fausses nouvelles ?

Lors d'une campagne électorale dans le Territoire de Belfort, le Parti socialiste avait porté plainte dès le lendemain de la parution de l'Est Républicain. Qui avait publié un communiqué d'un parti de l'opposition départementale tendant à faire croire que la société locale d'HLM avait bradé au PS l'immeuble de son siège.

J'avais aussi, pour le Pays de Franche-Comté, largement fait état de ce communiqué, mais assorti des précisions du Parti socialiste. Les plaignants, le PS, eurent gain de cause, sauf sur le chef de diffusion de fausse nouvelle. Pourquoi ? Car la qualification ne s'applique que si la nouvelle est fausse ET a entraîné des troubles de l'ordre public.

Aucun représentant de l'opposition départementale n'ayant été lynché, l'immeuble de l'Est Républicain n'ayant pas été caillassé, la nouvelle fausse n'a pas été considérée "fausse nouvelle". On sait ce que fomente le sieur Fillon : accréditer le soupçon d'un "cabinet noir" élyséen, tenter de faire révéler des sources mystérieuses.

Autre limite, la plainte intervenant après l'élection, les juges devront éventuellement déterminer si l'abus présumé de propagande aura ou non "altéré la sincérité du scrutin". D'une part, des faits avérés, non assortis d'injures, ou d'appel à voter pour tel ou tel autre candidat, peuvent difficilement être qualifiés de calomnieux, d'autre part François Fillon a non seulement été largement en mesure de répliquer sur le Penelopegate, mais il l'a amplement fait dans des délais raisonnables. Enfin, puisqu'il s'agit d'être procédurier, que le parquet ne se saisit-il pas de toute diffusion de fausses nouvelles à visées politiques ? Comme celle-ci s'appuyant sur un document falsifié. Soit un tweet contrefait (avec un élément visuel ne figurant plus à présent sur Twitter) affirmant que le Canard ne traitera d'aucun des MacronLeaks afin de ne pas divulguer "d'informations susceptibles de nuire à la sincérité du scrutin".

Diffusé confidentiellement le mardi au soir, soit près de 48 heures après les résultats, son site ne comportant que les facs similis de ses premières pages, Le Canard, d'évidence, n'avait pas à se prononcer sur les MacronLeaks avant l'élection. Mais cela n'a pas empêché Isabelle Balkany (LR) et Fabrice Robert (identitaire, proche du FN), entre autres, de répercuter cette nouvelle fausse. Ainsi qu'à leur suite, nombre de crédules et d'autres, de la fachosphère, qui accréditent tout faux bruit, toute rumeur, toute accusation infondée en pleine connaissance de cause.

Les destinataires ultimes sont les électeurs qui ne lisent jamais la presse écrite, restent éloignés des réseaux sociaux, mais finiront par avoir ouï dire de la rumeur qu'ils amplifieront.

Et cela devient la certitude que le "système" finance une "médiacratie" employant des "journalopes gauchiasses" aux ordres d'une oligarchie américano-moyen-orientale. En fait, les fausses nouvelles, fake news et "l'information alternative" sont devenues un véritable système de désinformation. Il serait grand temps de poursuivre tant les émetteurs que leurs complices, tant les déterminés que les naïfs, ainsi que tout receleur (s'il l'est malgré lui, comparaître l'exonérera de peine ou ne lui vaudra qu'un rappel de loi susceptible de le faire réfléchir). De quoi, hélas, submerger les greffes tant les partisans ou soutiens du sieur Fillon, les dénégateurs du Penelopegate, et l'ensemble de la fachosphère popularisée par le FN, comptent de justiciables… Au-delà du pénal, le sachant ne disant rien consent.

Et qui le soutient électoralement s'en rend complice moral. S'opposer à qui a recours aux fausses nouvelles, les propage ou les laisse se diffuser sciemment est une exigence démocratique, un choix conscient pour la désinformation et contre une presse libre ou, du moins, respectant la déontologie.