On ne peut pas percer l’énigme de la personnalité de cet homme. C’est un patron qui s’évapore. On ne le voit guère dans les médias. Pourtant, il est très à l’aise sur une estrade devant ses actionnaires, très à l’aise dans les tribunes de Roland-Garros, très à l’aise sur un plateau de télévision.
Arnaud Lagardère, un hédoniste
« Have fun », c’est sa devise et son slogan, dit de lui l’un de ses anciens proches. Arnaud est dans la transgression, dans la jouissance immédiate. C’est le principe de plaisir. Impossible de résister à l’instinct du moment.
« Il faut de tout pour faire un CAC », raille-t-il dès les premières critiques émises dans la presse. « Je suis un patron atypique, et alors ? » Il théorise sa « particularité », dont il sourit : « C’est juste une façon d’être. Pas de la provocation, ni de l’arrogance. Je pense que c’est comme ça qu’il faut faire, donc je le fais. » Il cite son père : « Vous avez tellement de gens qui sont plus brillants que vous, qui ont plus d’expérience, que la seule manière de les battre, c’est d’être différents, d’apporter quelque chose de neuf. » On sent bien qu’il se protège. Des analystes. Du Tout-Paris politico-industriel ? Les journalistes qui, dit un cogérant, n’auraient jamais digéré qu’Arnaud Lagardère ait pu écrire, dans l’un de ses propres journaux, que la presse était morte.
Voilà qui expliquerait les interrogations fleurissant dans les médias depuis quelque temps. En réalité, étant donné l’empire médiatique sur lequel il règne, l’héritier a longtemps bénéficié de remarques plutôt polies. « Je me fiche des attaques, assure-t-il d’ailleurs, parce que mon père s’en fichait. Ce qui compte pour nous, ce sont nos valeurs : loyauté, fidélité et patriotisme.
» Plus sincèrement, il ajoute : « Depuis que j’ai douze ans, je vis dans les critiques. On finit par relativiser.» Blindé ? «Totalement ! Quand j’avais des bonnes notes en maths, on me disait déjà : “Ton père a donné des places au prof pour les 24 Heures du Mans…” C’est très formateur !
»
Arnaud Lagardère, imperméable au monde
Devant les critiques, Arnaud Lagardère adopte la tactique de la cuirasse. Il les ignore, feignant l’aveuglement ou le dédain. Il les provoque parfois, prenant un malin plaisir à les titiller, à les cultiver, à les regarder jaillir, voir jusqu’où il peut aller trop loin. Parfois, il les domine, quand il se donne la peine de les éteindre. Ce séducteur sait que peu de gens résistent à son charme, fait d’ingénuité, de spontanéité, parfois de plaisanteries grasses, et d’une intelligence intuitive. Il y a quelque chose d’animal chez cet homme qui capte l’attention, s’attache les êtres, se love dans la bienveillance qu’il suscite, puis se détourne dès qu’il est rassasié.
Un animal un peu sauvage qui, doté d’une acuité acoustique d’une vivacité extrême, peut réagir au voisin de gauche, au bout de la table, lorsqu’il parle au voisin de droite. Puis retourner dans sa bulle, seul avec sa boîte noire, imperméable au monde.
Un caméléon qui ne cesse de s'adapter
Alors, il sort des sentiers battus. C’est un héritier qui veut vivre sa vie comme il l’entend, pour donner une consistance à son bonheur. Malgré un héritage indépassable qui le nourrit financièrement et lui donne des obligations, il oscille entre deux rôles parfois contradictoires, le fils parfait et le fils rebelle. D'où les facettes multiples de sa personnalité. « Dans la vie, il est très différent, murmure une ex-proche.
Il est incertain, immature, attachant. Avec des fulgurances. Mais aussi des réflexes de bad boy. » Arnaud Lagardère ressemble à un caméléon : fluide, hédoniste, tantôt dans le bonheur de l’instant, tantôt dans le sérieux que lui impose un lourd héritage. Par son ambivalence, par son charme, par le destin dont il a hérité, Arnaud Lagardère est un personnage romanesque – ce qui ne lui donne pas l’apparence qu’on attend habituellement d’un patron. Son management, même s'il est atypique, reflète pourtant un vrai esprit d'entrepreneur. « Je ne me sens pas de devoir vis-à-vis de mon père, corrige Arnaud. Je me sens un devoir vis-à-vis de moi-même. » Et il ajoute : « Je suis passionné par ce que je fais.
» Sachant qu’il n’a pas cette réputation, il précise en toute honnêteté que ce n’est pas l’argent qui le motive : « Je ne vis pas comme un riche, je n’ai pas besoin de frimer, je n’ai pas besoin d’avoir une Ferrari ».