Le 9 août 1974, Richard Nixon, 37e président des États-Unis, annonçait qu’il quittait le pouvoir en raison de l’affaire du Watergate. Au soir de sa démission, Richard Milhous Nixon avait répondu à Kissinger qui lui affirmait que l’Histoire le jugerait comme l’un des grands présidents : « Cela dépend de qui écrit l’histoire, Henry ». 45 ans plus tard, il est temps de poser la question : L’Histoire a-t-elle jugé Nixon comme un grand président ? Sur la foi de quelles sources et de quelles interprétations ? Ces deux questions en amènent immédiatement d’autres, car Nixon ne fut pas uniquement un président, mais un homme politique à l’incomparable longévité politique.
« Nixon, c'est plus que le Watergate », proclamait Joan Hoff dès les premiers mots de l’introduction de son livre, Nixon Reconsidered, en 1994. Assurément, Nixon est plus que l’accablante bande magnétique du 23 juin 1972, qui l'incrimina dans une entreprise criminelle de dissimulation du Watergate et qui l’accula à la démission. Il est même plus qu’un président. De 1946 à 1974, il fut une figure centrale de l’échiquier politique américain, à la fois acteur et reflet des évolutions de la nation.
Définir sans juger
L’objectif de cet article n'est pas de céder à la critique de Nixon. Il ne s'agit pas non plus de réhabiliter à tout prix Nixon, au seul motif que l’historiographie lui fut, souvent aussi, jusqu’à présent, défavorable.
Il faut se garder aussi bien de l’hypercriticisme que de l’hagiographie, qui sont pourtant le lot d’une personnalité aussi polarisante que celle de Richard Nixon : « Ce jugement en balancier, écrit Romain Huret dans son essai consacré au « cas Nixon », peut continuer éternellement, juxtaposant autant de Nixon qu’il y a de points de vue politiques, autant de vérités historiques qu’il y a d’opinions.
» Il faudrait, pour bien faire, prendre de la hauteur. Souvenons-nous des mots de Marc Bloch dans l’Apologie pour l’histoire : « l’histoire, en permettant au palmarès de prendre le pas sur le carnet d’expériences, s’est gratuitement donné l’air de la plus incertaine des disciplines : aux creux réquisitoires succèdent autant de vaines réhabilitations.
Robespierristes, anti-robespierristes, nous vous crions grâce : par pitié, dites-nous simplement quel fut Robespierre. » Mais il est probablement bien plus difficile encore de dire quel fut Nixon que de connaître Robespierre ! Là réside, sans doute, le défi le plus difficile à relever.
Un libéral
Qui fut donc Nixon ? Homme aux facettes multiples, il était rempli de toutes les contradictions. Harry Robins Haldeman, l’un de ses plus proches collaborateurs, comparait sa personnalité aux multiples facettes d’un cristal de quartz : « Certaines brillantes et étincelantes, d’autres sombres et mystérieuses. […] Certaines fort profondes et impénétrables, d’autres superficielles. Certaines douces et polies, d’autres brutes, rugueuses et coupantes ».
Mais, pour les besoins de l'analyse, il nous faut résumer et syntéhtiser. Disons donc que Nixon, c'était un libéral. Il faut prendre à la lettre le jugement de Daniel Patrick Moynihan, qui considérait que Nixon avait été « notre dernier président libéral » . Quelques mois à peine après son entrée en fonction, le duo de journalistes Evans et Novak affirmait que Nixon avait adopté des politiques, notamment dans le domaine de la politique sociale et des droits civiques, qui allaient à l’encontre de ses positions durant la campagne de 1968 et même de la rhétorique qu’il continuait de pratiquer.
Un réaliste
Dans le domaine de la politique étrangère, les initiatives de Nixon vis-à-vis de la Chine et de l’URSS sont marquées au sceau du réalisme et lui valurent d’essuyer les critiques des chefs de file du conservatisme américain : James J.
Kilpatrick, L. Brent Bozell ou encore William Buckley. Il n’est point étonnant, en ce sens, que Nixon se soit alloué les services de l’un des plus grands pourfendeurs du wilsonisme : Henry Kissinger, l’incarnation même du réalisme en politique étrangère. Dans Diplomatie, Kissinger réserve ses flèches les plus acérées à Woodrow Wilson et à sa défense de la paix in abstracto. Il fustige une politique dans laquelle l’idéalisme américain était incompatible avec le réalisme sans pitié de ses partenaires européens ou japonais. À l’inverse, il décrit la politique étrangère de Nixon comme étant essentiellement une géopolitique, récusant l’idée d’un ordre international foncièrement bienveillant. Contrairement aux prémisses wilsoniens, Nixon et Kissinger établissaient leur vision du monde sur le constat du règne de l’hostilité. Concluons par ces vers de Walt Whitman qui résume bien le personnage Nixon : « Je me contredis ? Très bien, alors, je me contredis. Je suis vaste. Je contiens des multitudes. »